La Nation Bénin...
Joint au téléphone dans la soirée du 18 mai 2022 par l’équipe de Fact checking de La Nation, Claude Djankaki donne plus de précisions sur sa publication. « Peut-être qu’il (la victime, ndlr) s’est trompé de plante en voulant chercher une espèce qu’on lui a indiquée. Beaucoup de plantes se ressemblent et vous pouvez vous tromper si vous ne savez pas faire. C’est pourquoi, moi-même, je fais très attention. Il y a de ces plantes qui sont toxiques», explique-t-il.
Au-delà de cette alerte retrouvée sur Facebook, il y a également un audio en Fongbé, langue parlée au sud du Bénin, qui est partagé de nombreuses fois dans les groupes WhatsApp. « Cette plante dont je viens de t’envoyer l’image vient de créer un drame chez moi. Quelqu’un l’a proposée à l’enfant de ma tante et il l’a bue hier mercredi. Il est décédé en moins d’une heure après la consommation de la tisane. Regardez bien la plante. Ne prenez pas sous forme de tisane quand on vous la suggère. Partagez à vos proches. Le drame s’est produit chez moi », entend-on dans l’audio de 41 secondes reçu le 18 mai 2022.
Cette plante est bien connue des Béninois. En témoignent les commentaires recueillis sur les réseaux sociaux entre le 15 et le 19 mai 2022. Une grande majorité des internautes s’étonnent qu’elle peut être source d’un empoisonnement involontaire. « Depuis notre enfance, on suce le nectar des fleurs de cette plante », commente Dominique Megni sur la page Facebook de Claude Djankaki. Bonaventure Agbon a aussi eu la même réaction ailleurs sur Facebook : « J’ai sucé ça, il y a quelques jours encore ».
Que sait-on de cette plante? Une recherche d’image inversée avec Google Lens a permis de retrouver des précisions sur les caractéristiques de cette espèce. Il s’agit bien du laurier jaune, connu sous le nom scientifique de Thevetia peruviana K. schum. Le botaniste Prof. Hounnankpon Yédomonhan de l’Université d’Abomey-Calavi à qui l’image a été envoyée l’a aussi confirmé. Une étude ethnobotanique menée dans les communes de Bohicon et de Zakpota au Bénin décrit la plante et évoque ses usages dans les communautés. On retient de cette étude supervisée en 2015 par Prof. Daniel Chèpo Chougourou de l’Université d’Abomey-Calavi qu’il s’agit d’un « arbuste de 4 à 5 m de haut, très ramifié dès la base, dressé à couronne étalée ou forme de buisson, encore grisâtre. Ses feuilles sont linéaires, et relativement coriaces, de 7 à 15 cm de long, souvent moins de 6 mm de large, presque sessiles, pointues aux deux extrémités, d’un vert foncé brillant sur le dessus, terne sur le revers, nervure centrale marquée ». Quant aux fleurs, « elles sont de couleur jaune à orangée, parfumées, de 5 à 7 cm de long, 3 à 4 cm de diamètre, à corolle en entonnoir ». Ces travaux, objet d’un mémoire, ont permis de dénombrer dans cette région du Bénin seize usages de la plante sur le plan thérapeutique dont « les plus fréquents sont le paludisme (34,15 %), les maux de tête (21,36 %), les rhumes (8,23 %) ». « Divers organes de la plante dont les feuilles (50 %), l’écorce (20, %), les graines (13 %), les racines (10 %), les fruits (6 %) et les fleurs (1 %) sont utilisés pour la préparation de nombreuses recettes médicamenteuses», précise le document. Des recherches avancées sur Facebook permettent de retrouver des publications en date de fin avril proposant une recette de traitement de sinusite, à base du laurier jaune.
D’autres travaux estiment que l’ingestion de graines produit des effets toxiques. «On retrouve des glycosides cardiaques dans toutes les parties de la plante, mais ce sont les graines et les racines qui en contiennent les plus grandes quantités », prévenait en avril 2012 Martin Laliberté, urgentologue dans le Bulletin d’information toxicologique de l’Institut national de santé publique du Québec et du Centre antipoison du Québec.
Le professeur Daniel Chougourou de l’Uac a conduit des travaux sur les graines de cette espècedont une étude sur l’efficacité de l’huile de Thevetia Neriifolia pour le contrôle de l’Anopheles Gambiae, moustique vecteur du paludisme.
L’enseignant-chercheur donne des raisons d’être prudent. « Les gens s’amusent avec sans savoir que ça peut tuer. De notre côté, nous avons beaucoup travaillé sur les graines en utilisant les extraits sous formes d’insecticides. Il est prouvé dans la littérature qu’avec une dizaine ou une vingtaine de graines, ça peut tuer. Nous n’avons pas travaillé sur les feuilles, mais la littérature note que c’est toutes les parties de la plante qui sont concernées. Pour ne pas prendre de risque, il vaut mieux ne pas l’utiliser.», confie le chercheur.
En attendant des études approfondies sur la toxicité des feuilles du laurier jaune, l’utilisation incontrôlée des plantes médicinales présente d’énormes risques, souvent du fait du dosage. « Les réseaux sociaux constituent un canal d’information mais l’administration d’une plante à une personne X doit passer par un diagnostic auprès des spécialistes afin d’éviter ces morts subites. Toutes les substances chimiques existantes, toxiques ou non, sont produites par les plantes avant d’être synthétisées à une quantité industrielle. Toutes les plantes guérissent des pathologies à des concentrations et doses données. Ce qui tue est la dose. Le foie et les reins prennent d’abord un coup, les minutes qui suivent, le cœur s’arrête suite à un déséquilibre physiologique », a averti Dr Yvette Déguénon, écotoxicologue.