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Violences genrées à l’ère du numérique: Ces écrans qui apaisent et qui brûlent

Société
Violences genrées à l’ère du numérique Violences genrées à l’ère du numérique

Dans un contexte où les Violences Basées sur le Genre (Vbg) persistent sous des formes insidieuses, parfois banalisées, le numérique devient un espace de parole, de résilience et de mobilisation. Mais pas seulement…. Entre lumière et obscurité, la toile se révèle être à la fois un refuge et un champ de bataille.

Par   Maryse ASSOGBADJO, le 04 juil. 2025 à 08h58 Durée 3 min.
#violences basées sur le genre

«  …. Ça m’a rongé toute la journée puis j’ai décidé de mettre les pieds dans le plat. Tant pis…Une fête, disent-ils, de travail, alors même que le travail dans mon milieu est totalement décousu. Le harcèlement sexuel en milieu de travail, même à mon âge a encore droit de cité avec les humiliations de tout genre, y compris la baisse de l’estime de soi. Et dire qu’il y a des femmes parmi nous qui se laissent faire. Viol, harcèlement moral et sexuel…, j’en ai marre ».

Lorsqu’en mai 2020, à l’occasion de la fête internationale du travail, Angela Kpeidja, lançait ce cri de détresse sur internet pour évoquer les violences dont elle était victime, elle croyait si bien faire en dénonçant à la face du monde un phénomène bien connu de tous. Hélas ! Elle en a payé le prix fort. « Un tourbillon viral a manqué de m’emporter », témoigne-t-elle.

Son expérience révèle combien l'exposition numérique peut devenir une nouvelle forme d’agression, même lorsqu’elle part d’une volonté de dénoncer. « Les commentaires désagréables ont tôt fait d’enfoncer davantage la victime dans l’abîme. Sa santé mentale est compromise. Même les journalistes n’ont généralement pas les ressources pour un traitement équitable. Ils exposent la victime et justifient parfois l’acte des bourreaux », se désole-t-elle.

Au milieu de la tourmente, elle a su puiser au fond d’elle en dédiant un ouvrage intitulé, ‘’Bris de silence’’ au phénomène. Aujourd’hui, elle s’évertue à combattre les Vbg dans leurs derniers retranchements. 

Mais combien sont-elles, les victimes de Vbg à avoir ce courage ? Lorsque certaines d’entre elles se résolvent à arpenter ce couloir, l’internet se révèle un terrain parfois glissant.

« La toile a sa réalité qui diverge parfois avec celle sociétale physique. L’espace virtuel de notre monde ne saurait être pris pour un espace de soins, en raison de la sensibilité des Vbg. Ces violences touchent souvent à l’intimité des victimes. Malheureusement, la toile aborde ces questions de façon intrusive et cela constitue une autre violence faite aux victimes, car les débats vont dans tous les sens », relève Dr Gilles Arsène Aïzan, psychologue clinicien.  

Avec son statut actuel, la directrice départementale des Affaires sociales et de la Microfinance du Zou, Ariane Adjolohoun observe elle aussi ces agissements. « Il n’y a pas de filtre en ligne. Sur la toile, on tombe sur des propos dénués d’empathie et d’analyse ou des propos qui tranchent avec la réalité des victimes. Dans certains pays, il est déjà arrivé que la violence déborde de l’internet pour se transposer dans la vraie vie. La parole sans filtre, les propos malveillants et les dénonciations mal encadrées peuvent entraîner des dérives dangereuses », avertit-elle.

Pour éviter le lynchage ‘’virtuel’’, certaines survivantes préfèrent garder le silence. C’est le cas de Aïcha (nom d’emprunt), professionnelle de lutte contre les Vbg au Bénin. « Toute mon enfance, j’ai été victime du harcèlement sexuel par mon oncle. A cause du traumatisme vécu, mes rendements scolaires ont tout le temps baissé sans que mes parents n’en sachent la cause. La situation me ronge à chaque fois que j’y pense, mais je ne peux pas dénoncer en ligne au risque de subir des représailles », murmure-t-elle.  

Le numérique, un espace de soutien

Sauf que dans d’autres cas, il est aussi nécessaire de sauter le verrou de la peur afin de vider le trop plein de souffrances morales et psychologiques qu’engendrent les Vbg. Les dénonciations en ligne sont rarement une cause perdue. 

« Internet offre un cadre de mobilisation aux survivantes. Lutter contre les Vbg sur la toile permet d’aller plus vite et plus loin et de toucher un grand nombre de personnes», soutient Dr Gilles Arsène Aïzan, psychologue clinicien.

Valdy Gbaguidi, activiste Web et féministe est mieux placée pour témoigner de la solidarité en ligne. « Au fur et à mesure que j’exposais mon cas, j’aidais d’autres femmes et plus je me sentais moins seule », confie-t-elle.

Ariane Adjolohoun, directrice départementale des Affaires sociales du Zou, pense également qu’il faut se positionner sur le canal du numérique pour ne pas restreindre les efforts : « Qu’il s’agisse des sensibilisations conçues par les Organisations de la société civile ou les initiatives d’activistes web, toutes ces actions contribuent à sensibiliser chaque jour les potentielles victimes et les auteurs contre les Vbg. En la matière, aucune action, si minime soit-elle, n’est à banaliser ».

Pour Anice Gambari Adam, cheffe du département de la Promotion de la Femme et du Genre du Masm, le caractère instantané de la dénonciation en ligne est souvent déterminant pour les actions de sauvetage. « Les plateformes en ligne permettent d’envoyer des signaux de détresse et de signaler des cas de violences en temps réel. Ce qui peut sauver des vies. Les données collectées en ligne permettent aux autorités béninoises et aux Ong de cartographier les zones à risque afin d’y adapter leurs interventions ». 

Au Bénin, les données en matière de Vbg témoignent de l’envergure des défis.

« Entre 2019 et 2023, 29 % de femmes âgées de 15 à 49 ans, soit 4 sur 10 ont été victimes de violences conjugales. 27 % ont été victimes de violences physiques. Vingt-neuf mille trois cent neuf filles et adolescentes ont été victimes de grossesses ou de mariages précoces. Entre 2022 et 2023, mille cent douze survivantes de violences basées sur le genre ont été recensées dans les six centres intégrés de prise en charge des victimes de Vbg », a révélé Aminatou Sar, coordonnatrice résidente du Système des Nations Unies au Bénin à l’occasion des 16 jours d’activisme contre les Vbg en novembre 2024.

Pour faire du numérique un levier important de la lutte contre les Vbg, Dr Gilles Aïzan préconise la définition des normes sur internet afin d’éviter le revers de la médaille : « Pour réussir la lutte contre les Vbg, il va falloir encadrer les débats et les actions parce que l’internet est un espace public sans borne. En la matière, il faudra créer des espaces crédibles et de confiance pour mieux porter les messages de sensibilisation, afin de permettre aux personnes assoiffées d’informations justes et crédibles de s’adresser aux bonnes sources ».

De son côté, Angela Kpeidja appelle à un journalisme responsable, à l’image d’une charte éthique pour les médias numériques, afin d’éviter toute nouvelle violence. « Les survivantes sont des héroïnes. Mais on les assomme avec des commentaires malsains. Il faut raconter autrement leurs histoires », recommande-t-elle.

Efforts institutionnels

Les pouvoirs publics ne sont pas insensibles à la question des Vbg. Il existe également un portail officiel qui publie les rapports et contacts utiles pour les victimes et les acteurs de lutte, ainsi que la ligne 138, un outil discret, rapide et confidentiel offrant une écoute, un appui psychologique et une orientation des survivantes vers les services spécialisés. « Il y a une reconnaissance officielle des Vbg en ligne au Bénin. Les initiatives sur Internet contre le phénomène représentent une avancée importante. Nous recevons des retours globalement positifs aussi bien des Ong que des acteurs de protection », explique Anice Gambari Adam.

Convaincu que la toile est un canal à exploiter en matière de lutte contre les Vbg, le Bénin essaie d’y asseoir des actions à grande échelle. « Nous projetons la diffusion en langues nationales des lois protégeant les filles et les femmes via les formats numériques et audiovisuels afin de favoriser l’accès à l’information aux communautés », poursuit-elle.

C’est la loi N°2021-11 du 20 décembre 2021, portant dispositions spéciales de répression des infractions commises à raison du sexe des personnes et de la femme qui vise à lutter contre les Vbg au Bénin. Cette loi renforce la protection juridique des femmes en introduisant des mesures spécifiques pour réprimer les infractions à caractère sexiste et les Vbg, y compris les discriminations fondées sur le sexe.

Une large vulgarisation de cet instrument couplée avec des actions à grande échelle encadrées sur la toile permettra sans doute de faire davantage bouger les lignes.