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Conférence nationale des forces vives de février 1990: « De l’espoir à des compromissions pour quels acquis !? »

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Jacques Ayadji Jacques Ayadji

(Retour sur une réflexion critique du Dr Jacques Ayadji publiée en 2021 à l’occasion du 31e anniversaire de la Conférence nationale des forces vives de février 1990)

Par   Jacques O.H.S. Ayadji, le 28 févr. 2025 à 07h19 Durée 3 min.
#Conférence nationale des forces vives de février 1990

Il y a 35 ans, le Bénin ouvrait une nouvelle page de son histoire politique avec les assises de la Conférence nationale des forces vives, tenues du 19 au 28 février 1990 à l’hôtel Plm Alédjo de Cotonou. Si la majorité́ des Béninois s’accordent à magnifier le « bébé́ » né de l’historique rencontre, certaines voix dissonantes ne partagent pas cet enthousiasme collectif. Dr Jacques Ayadji, l’une d’entre elles, émet de sérieuses réserves sur la Constitution sortie des entrailles de l’historique rencontre. 

Tout en reconnaissant l’espoir qu’avait suscité́ la convocation et la tenue de ces assises de février 1990 dont il doute encore du vrai initiateur entre les regrettés présidents Mathieu Kérékou et François Mitterrand (Discours de La Baule), l’ancien leader syndicaliste stigmatise cependant certaines options vitales de la Conférence qu’il juge préjudiciables à la bonne marche sociopolitique et économique du pays.

En s’appuyant sur des faits, il remet en cause l’essentiel des orientations fondamentales de la Conférence nationale.

C’est à travers une tribune intitulée « De l’espoir à des compromissions pour quels acquis !? », publiée en mars 2021.

Plus qu’une immersion, la réflexion sans filtre du Dr Jacques Ayadji a le mérite de revisiter les méandres de la Conférence nationale, d’exposer ses insuffisances et failles, et de prospecter des pistes de solutions pour un avenir meilleur. Sans fioritures, elle s’oppose à l’angélisme béat entretenu autour des acquis de la Conférence nationale. Sa lecture critique du chemin parcouru au cours des trois décennies de l’ère du Renouveau démocratique renforce sa conviction que le Bénin a loupé son rendez-vous avec l’histoire. D’où la question qui fâche : La Constitution issue de la Conférence nationale est-elle plutôt un poison ou plus précisément un poison lent pour la République ?

Trente-cinq ans après sa tenue, la Conférence nationale soulève toujours des questionnements. Pour mieux apprécier l’analyse et la posture, parfois incomprise, de Jacques Ayadji sur « le bébé́ né» de l’historique rencontre de février 1990, notre rédaction se propose de partager à nouveau avec vous sa réflexion osée et audacieuse en cinq séquences à partir du vendredi 28 février 2025 dans nos colonnes et sur nos réseaux sociaux.

De l’espoir à des compromissions pour quels acquis !?

La montagne a accouché d’une souris. Ainsi m’étais-je exclamé, il y a trente et un ans, et plus précisément à la fin des travaux de l’historique Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation de février 1990. Certes, en ce moment-là, la vingtaine, et fraîchement admis à l’Université Nationale du Bénin, actuelle Université d’Abomey-Calavi (Uac), je n’avais pas voix au chapitre au plan national dans la République. J’avais tout de même quelque maturité qui me permettait de faire la part des choses, d’user de discernement et de savoir ce que c’est qu’avoir le sens critique.

À cette époque, tous les Béninois ne pouvant accéder à la salle de conférence de l’hôtel Plm Alédjo (par ailleurs, mythique centre de détention et de torture de détenus politiques sous la révolution) où se tenaient ces assises, l’étudiant que j’étais faisait aussi partie de ces millions d’auditeurs accrochés à leurs transistors ou à leurs téléviseurs, pour suivre au quotidien, ce qui s’y passait. Qu’il s’agisse des huis clos, des travaux en commissions ou des plénières, je tenais à tout savoir presque ou tout au moins la quintessence des grandes et importantes décisions prises chaque jour. Et quel ne fut l’espoir, le grand espoir placé en ces historiques assises qui devaient nous soustraire définitivement du joug de la dictature militaro-marxiste et de ses oripeaux incarnés par un régime pseudo-révolutionnaire qui, visiblement essoufflé, dut se résoudre à se trouver, plus qu’une bouffée d’oxygène, une porte de sortie. Le fameux et marquant discours de la Baule en France l’y a indubitablement aidé. Un discours du double septennat (1981-1995) du président français, François Mitterrand, qui conditionnait l’aide de la France aux seuls États engagés sur la voie de la démocratie.

En ces temps-là, la situation socio-économique du Bénin était telle que, ne pas céder, face aux exigences et à la pression de la Baule, serait suicidaire pour le président Kérékou et son gouvernement, dont les jours étaient bien comptés. À en juger par la déconfiture et la banqueroute qui se sont emparés du pays. Aussi, en mai 1985 le redoutable mouvement de grève de grande envergure des étudiants et élèves, sous l’impulsion des communistes, qui a fait trembler le régime révolutionnaire et son parti Etat : le Prpb n’était-il pas déjà mauvais signe !

Casting et mauvaise option !

La convocation des assises du Plm Alédjo était donc une bouée de sauvetage pour le pouvoir pseudo-révolutionnaire moribond. Alors, j’avais espéré qu’au cours des travaux de cette Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation, les réels problèmes posés et les vrais diagnostics connus nous feraient sortir de l’impasse. Hélas ! Au terme de cette historique Conférence Nationale (!?), j’étais resté sur ma faim. Il en était de même, pour nombre de mes compatriotes. Prenant le contre-pied de la formule consacrée selon laquelle nous avons vaincu la fatalité (!?), je veux bien poser la question de savoir, si de quinquennat en quinquennat, des faits et situations ne prouvent pas le contraire ?

Quelle fatalité avons-nous donc vaincue au juste? Peut-être celle de ce moment-là ; oubliant la véritable fatalité qu’est la paupérisation poussée des populations. Le manque d’eau potable, de pistes de desserte rurale, de centres de santé et de plateaux techniques appropriés, d’infrastructures scolaires et d’enseignants de qualité en effectifs suffisants et d’opportunités économiques, ne nous interpelle-t-il pas toujours, pour que nous cessions de nous bomber le torse d’avoir vaincu quelle fatalité je ne sais ! La prise en charge réelle de la jeunesse déboussolée, par la création d’emplois et de richesses qui la rassure et lui donne d’espérer un mieux-être, avec en point de mire un avenir radieux, ne demeure-t-elle pas une préoccupation majeure, pour ne dire un casse-tête ? Au départ, un problème de mauvais casting, de mauvaise appréciation et de prise d’option dans la précipitation avant, pendant, voire après la conférence. Le comité préparatoire, présidé par maître Robert Dossou, n’a pas réussi à faire inviter à ces historiques assises tous ceux qui devraient y être véritablement. On a plus fait appel à ceux qui, ayant maille à partir avec le régime autocratique d’alors, s’étaient exilés et à quelques personnalités en vue, à l’extérieur et à l’intérieur du pays, à des membres d’organisations et de structures socioprofessionnelles, qu’à de vrais représentants de toutes les couches sociales importantes du pays. Sans prétexter du boycott justifié à maints égards  des communistes qui ont décliné l’invitation d’y participer, parce que ne voulant pas cautionner des assises qui conforteraient leurs bourreaux dans leurs positions, on pouvait mieux faire, s’agissant des personnalités et personnes devant prendre part à ladite Conférence. Conscient également des incohérences et des failles de la Constitution du 11 décembre 1990, l’ex-président de la République, Mathieu Kérékou, a laissé échapper que : celle-ci a été «taillée à sa mesure.» C’est alors qu’il martela, non sans insinuation, qu’ayant fui durant la période révolutionnaire, «les apatrides» ne sachant pas ce qui a été fait en leur absence, tenaient sans discernement aucun, à tout remettre en cause, lors de cette Conférence ! Compromission ou manque de sincérité et d’objectivité de la part des participants et des constituants ?

A suivre...