La Nation Bénin...
A chaque régime, sa série de crises sociales. Le gouvernement du Nouveau départ en fait l’amère expérience, depuis janvier dernier, avec une cascade de motions de grève qui a fini par paralyser une bonne partie de l’Administration publique, pendant près de trois mois.
Comme l’on pouvait s’y attendre, le gouvernement de la Rupture ou du Nouveau départ n’a pas fait exception aux frondes sociales qui s’emparent de chaque nouveau régime. Avec des réformes qui ne priorisent pas forcément le social, l’inévitable tant redouté arriva pour donner du fil à retordre aux gouvernants.
La grogne sociale se faisait déjà persistante depuis plusieurs mois, notamment avec la Confédération syndicale des travailleurs du Bénin (Cstb) qui a commencé à dénoncer une politique de « ruine des activités des opérateurs économiques nationaux, la mévente dans les marchés, la perte des emplois, l’augmentation du taux de chômage, de l’inflation et les privatisations ou liquidations des secteurs stratégiques de l’économie du pays ».
En effet, le Conseil des ministres en date du 30 novembre 2016 a décidé de la « liquidation ordonnée » des structures étatiques sous la tutelle du ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche (Maep) à savoir la Société nationale pour la promotion agricole (Sonapra), l’Office national d’appui à la sécurité alimentaire (Onasa), l’Office national de stabilisation et de soutien des prix des revenus agricoles (Ons) et la Centrale d’achat des intrants agricoles (Caia). Cette décision qui devrait permettre une « rationalisation » institutionnelle et financière, met au chômage des dizaines d’agents. Les critiques sont sévères.
Mais avant, les travailleurs s’insurgeaient déjà contre la décision du Conseil des ministres du 5 octobre 2016 de suspendre les activités des organisations d’étudiants sur les quatre campus universitaires publics du pays. Cette décision « viole l’article 25 de la Constitution du 11 décembre 1990 du Bénin », a dénoncé la Fédération des syndicats des travailleurs du ministère en charge des Finances (Fesyntra-Finances) de Laurent Mètongnon. La Cour constitutionnelle lui donnera raison à travers sa décision Dcc 17-065 du 16 mars 2017.
Les marches, les sit-in et les déclarations de protestation contre la situation sociale se succèdent, après les casses liées à l’opération de libération de l’espace public début 2017. La Fesyntra-Finances, le Front pour un sursaut patriotique (Fsp), la Convention patriotique des forces de gauche, le Parti communiste du Bénin, avec en tête de pont pratiquement les mêmes acteurs, en feront leur sport favori. Ils multiplient les sorties médiatiques, les sit-in et les marches. Ils fustigent, entre autres, « le piratage ou l’acharnement contre les médias non conformistes, le marquage des rues par des lignes rouges, les interdictions des marches de protestation et le bâillonnement des libertés syndicales ».
Alertes tous azimuts
La Cstb et la Fesyntra-Finances organisent un sit-in, le jeudi 16 mars 2017, sur l’esplanade du palais des Gouverneurs à Porto-Novo, pour manifester leur mécontentement contre des propositions de lois inscrites à l’ordre du jour de la deuxième session extraordinaire de l’année 2017 de l’Assemblée nationale. Ils incriminent, entre autres, la proposition de loi portant organisation du secret de la défense nationale, la proposition de loi portant régime général d'emploi des collaborateurs extérieurs de l'Etat, celle relative au renseignement et celle fixant les conditions et la procédure d'embauche, de placement de la main-d'œuvre et de résiliation de contrat de travail. Ces propositions constituent « une menace pour les travailleurs de l’Administration publique qui pourraient être relégués au second rang lors des nominations à des postes stratégiques au profit des retraités recrutés sous contrat avec l’Etat si la loi arrivait à être votée », à en croire Paul Essè Iko, ancien secrétaire général de la Cstb.
Ces réformes législatives risquent à terme de « ligoter le peuple et le priver de ses droits fondamentaux pour surtout légaliser la privatisation de l’administration publique par l’utilisation des collaborateurs extérieurs sous contrat avec l’Etat, précariser davantage l’emploi et instaurer un régime policier par la systématisation de l’espionnage d’Etat sur les citoyens », alerte Mathurine Sossoukpè. Malgré les protestations, ces propositions de loi passent au Parlement comme une lettre à la poste. La Cour constitutionnelle approuvera la loi n°2017-44 portant recueil du renseignement en République du Bénin mais déclarera non conforme à la Constitution celle portant régime général d'emplois des collaborateurs extérieurs de l'Etat votée le 17 mars 2017.
Début août 2017, l’on apprend que le secrétaire général du Syndicat national de la police (Synapolice), Clément Akiyè, est mis aux arrêts de rigueur, pour « une léthargie et une légèreté dans l'exécution de la mission de surveillance du domicile de l'ex-maire de la ville Cotonou, Léhady Soglo ».
Le 5 septembre 2017, le capitaine Patrice Trékpo, secrétaire général du Syndicat national des Eaux, Forêts et Chasse (Syna-Efc) est également mis aux arrêts de rigueur pour soixante jours, après des supposées ‘’menaces’’ proférées (sur une télévision de la place) à propos de la privatisation du parc de la Pendjari au profit de l’Ong African Parks Network. Plus tard, le gouvernement approuve, le 13 décembre 2017, sa révocation du personnel des eaux, forêts et chasse, suite à la sanction de mise en non activité pour une durée de trois mois. La Cstb, encore elle, dénonce une mesure « arbitraire et politique » contre le responsable syndical, comme dans l’affaire de placement « hasardeux » des fonds de la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss) à la Banque internationale du Bénin (Bibe, au bord de la faillite) moyennant rétro-commissions, dans laquelle les sieurs Laurent Mètongnon, Moussa Adégoké, Saliou Aboudou Youssao et autres sont impliqués. Les réactions fusent de partout dans les rangs des syndicalistes. Les protestations sont vives.
L’escalade de la
contestation
Les revendications sont restées lettres mortes jusqu’au vote, début janvier 2018, à l’Assemblée nationale de la loi complétant la loi 2015-18 du 13 juillet 2017 portant statut général de la Fonction publique en République du Bénin. Cette loi qui supprime notamment la grève aux agents permanents de l’Etat des secteurs de la justice, de la santé, de l’éducation, de la sécurité publique, met le feu aux poudres.
Il n’en fallait pas plus pour que l’Union nationale des magistrats du Bénin (Unamab) et les centrales et confédérations syndicales (Unstb, Cstb, Cgtb, Cspib, Cosi-Bénin, Csa-Bénin, Csub) bandent leurs muscles et entrent dans la danse. Cette loi « remet dangereusement en cause les libertés conquises et la démocratie au Bénin », estime la Cstb.
Outre le rétablissement du droit de grève, les regroupements de travailleurs en mouvement, dans leur motion commune, exigent le respect et la protection des libertés syndicales, d’expression et d’association, la relecture de la loi n°2015-18 portant statut général de la Fonction publique et l’application intégrale des statuts particuliers des enseignants de la maternelle, du primaire et du secondaire par la prise des arrêtés d’application. Aussi réclament-ils la revalorisation du point indiciaire, l’augmentation du salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) ainsi que la hiérarchisation des salaires minima.
Les syndicats demandent également le respect par le gouvernement des engagements contenus dans la Charte nationale du dialogue social, l’arrêt de la concession de la gestion des structures et entreprises d’Etat au privé sans implication et consultation préalables des travailleurs, l’abrogation des lois dites « antisociales » sur l’embauche, le placement de la main-d’œuvre, le recrutement de collaborateurs extérieurs.
Et c’est parti pour plus de deux mois de paralysie, marquée par un ton ferme du gouvernement mais qui se montre quelque peu ouvert au dialogue et intransigeant sur les défalcations opérées sur salaire, lesquelles ont jeté de l’huile sur le feu.
Après moult négociations et interventions des responsables d’institutions, de confessions religieuses et autres, les travailleurs retrouvent peu à peu le chemin des services. Et l’on espère que cela durera longtemps. Autrement, ce serait l’amorce d’un règne tumultueux.