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Rentrée judiciaire de la Cour suprême: L’appel à la prudence des magistrats sur les réseaux sociaux

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Par   Thibaud C. NAGNONHOU, A/R Ouémé-Plateau, le 25 oct. 2019 à 03h39

Loin d’interdire aux magistrats l’usage des réseaux sociaux, il leur est recommandé de faire preuve de prudence et de retenue pour respecter les exigences qu’impose leur profession et préserver le serment qu’ils ont prêté. C’est ce qui ressort, ce jeudi 24 octobre, de l’audience solennelle de rentrée judiciaire au titre de 2019-2020 de la Cour suprême et qui a porté sur la question.  

« Les magistrats et les réseaux sociaux ». C’est le thème de la rentrée judiciaire 2019-2020 de la Cour suprême. La thématique a été décortiquée par les acteurs judiciaires à la faveur de l’audience inaugurale qui s’est tenue, ce jeudi 24 octobre, à Porto-Novo, sous l’égide du président de la République, président du Conseil supérieur de la magistrature, représenté à la cérémonie par le ministre de la Justice et de la Législation, Me Séverin Quenum.
Pour le président de la Cour suprême, Ousmane Batoko, ce thème est d’une brûlante actualité. Dans quelle mesure les libertés d’opinion, d’expression et d’association légalement garanties à chaque citoyen, donc à chaque magistrat, accommodent-elles des obligations liées au serment que prêtent ces derniers, s’interroge-t-il. Puisqu’avant son entrée en fonction, le magistrat prête un serment et jure notamment d’exercer ses fonctions en toute impartialité, de conserver le secret des délibérations et des votes, de ne donner aucune consultation à titre privé, de ne prendre aucune position publique, sur les questions relevant de la compétence de la cour ou du tribunal et en définitive de se conduire en tout loyalement et dignement. Mieux, le statut de la magistrature en son article 18 stipule que «…comme tous citoyens, les magistrats jouissent de la liberté d’expression, de croyance, d’association et de réunion ». L’article précise que « dans l’exercice de leurs droits, les magistrats doivent se conduire de manière à préserver la dignité de leur charge et à sauvegarder l’impartialité et l’indépendance de la magistrature ». Au regard de ces réalités, le président de la Cour suprême note que l’obligation de réserve du magistrat n’est plus seulement fondée, comme par le passé, sur une certaine morale. Elle est au XXIe siècle une invitation permanente pour le magistrat à veiller à préserver, dans l’exercice de sa liberté d’expression sur les réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, Linkeden, Instagram et Whatsapp, son indépendance et son impartialité. Ousmane Batoko estime qu’il doit être défini et maintenu à chaque instant une ligne de crête entre libertés publiques et l’obligation de réserve inhérente à la fonction de magistrat.

Code de déontologie

Le président de la Cour suprême a partagé avec l’assistance, les règles de bon sens et les bons comportements à avoir avec les réseaux sociaux, identifiés par le Réseau francophone des conseils supérieurs de la magistrature. Ces règles renseignent sur le plan de la sécurité, à en croire Ousmane Batoko, que les juges doivent prendre conscience de leurs responsabilités et conserver à l’esprit que la confidentialité complète en cette matière n’existe pas. Le risque de piratage informatique et en particulier de piratage de compte d’utilisateur sur un réseau social à des fins de vol de données personnelles est courant. Il ajoute que le risque existe toujours que des échanges au sein d’une plateforme de discussions soient transmis à des tiers par l’entremise de piratages ou de captures d’écran.
Ainsi, des prises de positions ou des écrits peuvent, à l’insu du magistrat qui en est l’auteur, être relayés dans l’opinion publique et être utilisés pour remettre en cause son impartialité ou le respect de ses obligations déontologiques.
Relativement aux règles de comportement à avoir sur les réseaux sociaux, Ousmane Batoko relève qu’un magistrat qui connaît d’une affaire ne doit consulter sur les réseaux sociaux et médias sociaux, les profils des parties ou des témoins dans une cause pendante. Mieux, ni les juges, ni les procureurs ne doivent, sous peine de sanction disciplinaire, commenter en direct sur Twitter par exemple, le procès auquel ils participent, sous peine de manquement aux devoirs de leur état.
Le président de la Cour suprême a donné l’exemple de certains pays notamment, du Conseil supérieur de la magistrature de Québec où les magistrats sont interdits d’usage des réseaux sociaux sous peine de sanctions lourdes. Ousmane Batoko reconnaît toutefois l’importance des réseaux sociaux qui demeurent une formidable manifestation du progrès. Mais, à défaut d’y renoncer totalement, leur usage par le magistrat doit se faire avec parcimonie, retenue et en toute responsabilité. Car, la garantie de son indépendance, la fidélité à son serment et la noblesse attachée à l’œuvre de justice recommandent une telle attitude. C’est seulement à ce prix, soutient Ousmane Batoko, que toute suspicion d’impartialité sera écartée de l’esprit du justiciable qui appelle de tous ses vœux une justice de qualité, garante de l’équilibre des rapports sociaux. Il rassure de l’engagement de la Cour suprême et du Conseil supérieur de la magistrature, organe de discipline de la magistrature, de prendre toute leur part dans cette œuvre exaltante de consolidation de la confiance de l’institution judiciaire.
Le ministre de la Justice et de la Législation, Me Séverin Quenum, représentant le président de la République, salue le thème retenu pour cette rentrée judiciaire. Selon lui, l’obligation de réserve du magistrat appelle ce dernier à faire preuve de discrétion dans les actes qu’il pose ; la discrétion dans ses idées et convictions et la discrétion quant au mode de vie qu’il mène. Ces exigences invitent le magistrat à savoir là où il faut placer le curseur pour préserver son impartialité et son indépendance. Tout comme Ousmane Batoko, il exhorte le magistrat à un bon comportement sur les réseaux sociaux. Me Séverin Quenum informe, à cet effet, l’élaboration d’un code de déontologie de la magistrature qui définira de façon claire la présence des magistrats en ligne. Le document est sous presse, annonce le garde des Sceaux.
Mais avant les deux interventions, c’est d’abord le procureur général près la Cour suprême, Onésime Madodé qui a pris ses réquisitions et le bâtonnier de l’Ordre des avocats du Bénin, Yvon Détchénou, représentant les auxiliaires de justice, ses observations sur le thème en débat.