La Nation Bénin...
Entre archives, souffle, poésie et espace domestique, deux artistes contemporains proposent à Cotonou une immersion dans les mémoires africaines. “Héritage… Mémoires en mouvement ?” invite le public à revisiter ses récits intimes et collectifs, dans un dialogue où le flux, l’amour et la transmission constituent les fils conducteurs.
A la Galerie Zato, deux artistes réinventent les récits africains de la mémoire et du devenir. Du 5 décembre au 17 janvier prochain, cet espace accueille l’exposition, une proposition artistique ambitieuse portée par New Afro. Une rencontre inédite entre deux artistes d’envergure, Tobi Onabolu et Nuits Balnéaires, qui interrogent l’identité, les héritages et la mémoire à travers des langages visuels singuliers, puissants, profondément ancrés dans le continent. « Héritage… Mémoires en mouvement ? » est bien plus qu’une exposition. C’est une continuité, presque naturelle, du projet itinérant «Restitution… et après ? », lancé pour élargir et décentrer le débat sur la restitution du patrimoine africain. Né en Europe, accueilli en 2024 à l’Institut français de Mayence, le projet trouve aujourd’hui au Bénin un terreau fertile. Le pays, qui a récupéré en 2021 vingt-six trésors royaux longtemps retenus en France, est devenu une référence incontournable dans les discussions sur la restitution, la souveraineté culturelle et la renaissance patrimoniale. Au cœur de l’exposition, deux voix majeures de la scène contemporaine africaine, portées par une génération d’artistes qui façonnent un nouvel imaginaire du continent: Tobi Onabolu et Nuits Balnéaires. Le premier propose le flux, l’esprit et la vibration du monde et le second, l’amour est ce qui reste, lorsqu’on aura tout oublié.
Installé à Grand-Popo, l’artiste et cinéaste nigérian Tobi Onabolu propose une œuvre à la frontière du visible et de l’invisible. Avec «The constant is flux», il interroge les fondements mêmes de ce qui constitue la matière, la culture, la mémoire. Une matière qu’il voit mouvante, vibrante, insaisissable. Son installation Ojú-Inú se veut une vidéo qui invite à la vision intérieure. Le célèbre sac «Ghana must go », symbole de migration et d’exil, devient sous son inspiration, un objet sacré. Entremêlé d’archives coloniales, il cristallise les contradictions de l’existence moderne et met la lumière entre autres sur la nécessité de partir, la violence de l’histoire, la transformation continue des identités. « Puisque l’espace-temps lui-même est un continuum, la seule constante est le flux », confie-t-il. Son œuvre devient alors une méditation sur l’instabilité créatrice, cette capacité à se réinventer malgré les fractures du passé. À travers le souffle, la danse et l’image qui prennent une place assez importante dans son œuvre, Onabolu nous rappelle que rien n’est figé. Ni les cultures, ni les mémoires, ni même les êtres.
Un pont entre mémoire et futur
En face de cette poétique du flux, l’Ivoirien Nuits Balnéaires, artiste visuel et poète, propose une plongée dans la profondeur des liens familiaux, généalogiques et territoriaux. Son installation «l’amour est ce qui reste, lorsqu’on aura tout oublié » s’inspire d’une phrase transmise par son oncle poète. Une phrase de mémoire, d’héritage intime, presque de testament. Ici, l’artiste recompose un salon, cœur battant de la maison africaine et en même temps lieu des récits, des gestes silencieux, des transmissions tacites. Ce salon est un miroir. Celui de sa propre famille en Côte d’Ivoire et celui des maisons de Porto-Novo, patiemment observées et documentées. Dans son œuvre, le visiteur découvre deux espaces, deux histoires, mais une même architecture émotionnelle.
L’artiste, dont le travail est nourri par une énergie hors-pair, poursuit sa recherche sur les « fils invisibles » qui relient les êtres aux territoires et aux ancêtres.
Cette exposition, qui réunit deux artistes profondément ancrés dans le continent et pourtant ouverts au monde, témoigne d’une évolution notable. La présence au Bénin de projets comme celui-ci soutenu par des institutions culturelles béninoises, françaises, allemandes et régionales confirme la place de Cotonou dans la cartographie des scènes créatives africaines. Pour ce qui le concerne, la galerie Zato, jeune espace au cœur de la ville, s’impose comme un lieu d’expérimentation où les récits se croisent, s’entrechoquent et se réinventent. Rodéric Dèdègnonhou, en portant la voix de l’espace au vernissage le martèlera d’ailleurs fort bien. Cette exposition est aussi un pont entre mémoire et futur. Elle n’apporte pas de réponses définitives. Elle interroge, ouvre des perspectives, propose de nouveaux récits là où l’histoire a laissé des silences. Elle fait dialoguer l’eau et l’esprit, le voyage et la maison, le visible et l’invisible. Entre ces deux forces, l’exposition trace un chemin pour comprendre, pour se souvenir, pour réinventer.
Pour Chéria Essieke-Bayer, curatrice indépendante et fondatrice de New Afro, « l’art demeure un espace essentiel pour questionner l’identité, la transmission, et pour ouvrir des voies nouvelles à la réflexion décoloniale ». Son travail, tourné vers la pluralité des récits africains, entend créer des ponts entre artistes, diasporas, institutions et publics, dans une perspective où la créativité devient un langage diplomatique. Dans une dynamique où le gouvernement béninois a fait de la culture un socle majeur de son action de la valorisation du patrimoine au soutien aux industries créatives, l’étape cotonoise s’impose avec évidence. Elle réunit les conditions idéales pour repenser les mémoires, interroger les héritages, et surtout, imaginer le futur.