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Epiphane Gilderic Adjovi à propos des inégalités économiques: « Une croissance inclusive est la clé pour réduire durablement les écarts »

Economie
Epiphane Gilderic Adjovi Epiphane Gilderic Adjovi

Epiphane Gilderic Adjovi, économiste et ancien directeur général de l'Économie, analyse les causes profondes des inégalités économiques au Bénin. Il met en lumière les initiatives gouvernementales et propose des pistes concrètes pour promouvoir une inclusion sociale et économique durable.

Par   Babylas ATINKPAHOUN, le 19 nov. 2024 à 09h20 Durée 3 min.
#économie béninoise

La Nation : Que peut-on comprendre par inégalités économiques au Bénin ?

Epiphane Gilderic Adjovi : De manière générale, les inégalités portent sur des différences qui conduisent à une hiérarchisation sociale bien marquée. Ces différences peuvent porter sur la dotation dans une ressource inégalement répartie ou sur un accès inégal à certains biens ou services. Sur le plan purement économique, les inégalités renvoient aux différences de revenu et de patrimoine. Mais il convient, pour être complet, surtout dans le cas des pays comme le Bénin, d’élargir l’inégalité aux conditions de vie en général. C’est-à-dire prendre en compte les limites dans l’accès à l'éducation, à la santé, à l’eau potable, à l’emploi, etc.

Quels sont les principaux facteurs qui influencent ces inégalités ?

Plusieurs types de facteurs peuvent contribuer à l’ampleur des inégalités dans un pays. Au Bénin, ces facteurs peuvent être démographiques. C’est-à-dire que la taille des ménages peut, lorsqu’elle est différente, créer des inégalités de revenus par tête. Dans les grands ménages, les revenus doivent être partagés entre un plus grand nombre de personnes, ce qui réduit les revenus par tête et limite les ressources disponibles pour chaque membre. Les grands ménages, souvent composés de nombreux dépendants (enfants, personnes âgées, etc.), ont moins de capacité à investir dans des opportunités économiques, ce qui perpétue les inégalités. Ces disparités sont aussi influencées par des facteurs culturels et géographiques, notamment dans les zones rurales. Ces facteurs sont également relatifs au milieu de résidence. En effet, les ménages vivant en milieu rural ont moins de dotations en infrastructures scolaires, de santé... De la même manière, les habitants des zones touchées par les conflits armés sont également concernés par les inégalités etc. On peut également citer des facteurs en rapport avec le sexe. A ce sujet, les enfants de sexe féminin peuvent vivre une situation d’inégalité vis-à-vis des garçons des ménages. Il en est de même pour les ménages dont le chef est de sexe féminin, qui peuvent aussi connaitre une situation d’inégalité. Les facteurs sont aussi liés aux handicaps physiques qui réduisent les opportunités d’accès à l’emploi et aux activités génératrices de revenu pour les personnes qui en sont victimes. L’extrême pauvreté des ménages qui réduit nettement les chances des populations concernées et de leurs descendants d’améliorer leurs conditions d’existence font partie aussi des facteurs. Par ailleurs, même si ce n’est pas le cas pour le Bénin, il faut quand même mentionner qu’il existe des inégalités liées à l’appartenance ethnique et religieuse des populations. 

Comment les pressions démographiques peuvent-elles être gérées pour limiter les écarts ?

Les aspects démographiques figurent en bonne place parmi les facteurs qui expliquent la pauvreté et l’inégalité. Des mesures et actions doivent être implémentées pour éviter que la pression démographique contribue à l’accentuation des différences. Il convient d’inscrire le Bénin dans une véritable transition démographique afin de pouvoir bénéficier du dividende démographique. Cela passe par une maitrise de la fécondité, mais aussi des investissements importants dans la santé et l’éducation ou si vous voulez, dans le capital humain. Pour que le dividende démographique soit effectif, Il faut mettre en place des mesures et politiques visant la création d’emplois décents et durables. Il faut des programmes d’aide sociale axés sur les grands ménages, en particulier ceux dirigés par des femmes ou confrontés à un chômage élevé.

Quelle appréciation faites-vous des initiatives prises par le gouvernement et les partenaires pour réguler les pressions et réduire les inégalités économiques ?

Avec l’appui des partenaires, le gouvernement béninois met en œuvre des mesures destinées à lutter contre les inégalités économiques et sociales. On peut, entre autres, citer le projet Arch avec l’assurance maladie pour tous, le projet Swedd Bénin avec les transferts monétaires aux filles issues de familles en situation difficile, la distribution de kits scolaires au profit des jeunes filles et adolescentes issues de familles vulnérables et évoluant dans des écoles et collèges du Bénin, les cantines scolaires, l’octroi de places spécifiques aux personnes handicapées dans les concours d’accès à la fonction publique et la gratuité de l’éducation primaire. Ces initiatives et mesures de politique sociale sont à saluer puisqu’elles sont destinées à réduire les inégalités qui s’observent au sein de la population et augmenter les chances des populations vulnérables à bénéficier des opportunités d’accès aux activités économiques. Ces mesures doivent être renforcées et s’étendre effectivement à toutes les personnes concernées pour que les impacts se fassent vraiment ressentir. L'évaluation régulière des effets permettra de faire le point des résultats et de prendre les mesures correctives et les ajustements nécessaires.

Quelles sont les perspectives à long terme pour une réduction durable des inégalités économiques au Bénin ?

Mettre en place des stratégies et politiques économiques pour assurer une croissance forte et soutenue doit constituer une des préoccupations des autorités. Toutefois, pour que cette croissance soit inclusive, il est indispensable d’inscrire au rang des priorités la réduction durable des inégalités. En effet, il convient d’insister sur le fait que la persistance des inégalités au sein de la population peut constituer une menace pour le développement social et économique à long terme et pour le bien-être. Les autorités semblent avoir bien compris cette exigence puisque le terme ‘’ hautement social’’ revient souvent dans les discours officiels. Des initiatives et actions sont déjà mises en œuvre. Elles doivent être généralisées et renforcées pour qu’à moyen et long termes, on assiste à une réduction importante et décisive des inégalités économiques.

Que recommanderiez-vous comme politiques publiques pour accompagner les initiatives existantes ?

Comme je le développais tantôt, il faut des politiques publiques qui visent à contribuer à une croissance inclusive. En d’autres termes, les politiques doivent viser l’éradication de l’extrême pauvreté et la faim, et renforcer les investissements dans la santé, l’éducation, la protection sociale et les emplois décents, en particulier pour les jeunes. Des politiques ciblées comme la planification familiale, des aides sociales adaptées et des investissements dans les infrastructures rurales sont nécessaires. Il faut renforcer la politique des investissements dans les infrastructures rurales pour équilibrer les opportunités entre les zones rurales et urbaines. Garantir l’égalité des chances et réduire les inégalités de revenus revient aussi à revoir les lois, politiques et pratiques discriminatoires.