La Nation Bénin...
Des
photos et une vidéo devenues virales sur les réseaux sociaux depuis le 12
juillet 2024, prétendent montrer, à Porga, une localité au Nord-ouest du Bénin,
une base militaire française et une piste d’atterrissage (ré)aménagée où des avions
ravitailleraient des terroristes pour attaquer le Burkina Faso. Ces images ont
inondé la toile après que le Capitaine Ibrahim Traoré a accusé le Bénin, le 11
juillet 2024, de vouloir déstabiliser son pays à partir de Kandi et Porga. Sauf
que les photos ne sont pas celles d’une base militaire et la vidéo montre l’accueil,
à l’aérodrome du parc national de Zakouma (Tchad), d’un cargo de la compagnie Bar
Aviation transportant cinq rhinocéros en provenance de l’Afrique du Sud. Et les
propos du chef de la junte burkinabé ne sont pas fondés.
Des
captures d’écran de Google Maps de
la localité de Porga située au Nord-ouest du Bénin, sont devenues virales sur
les réseaux sociaux, notamment Facebook depuis le 12 juillet 2024. Ces
publications montrent une infrastructure rectangulaire et longue. Sur l’une des captures, on peut voir
Porga encerclé au rouge. L’infrastructure est aussi encerclée au rouge et porte
l’inscription « Centre de formation pour terro terro ». La légende de
la capture renseigne qu’il s’agit de « Porga, village béninois situé à
quelques encablures de la frontière du Burkina Faso et sa piste d'atterrissage
aménagée de 3000 m ». En clair, selon leurs auteurs, ces captures seraient
la preuve de la présence d’une piste d’atterrissage de 3000 mètres (ré)aménagée
à Porga non loin de la frontière avec le Burkina Faso, et que cette piste accueillerait
des avions qui ravitailleraient des terroristes dont la mission serait de déstabiliser
le régime actuel, comme l’a affirmé le Capitaine Ibrahim Traoré.
Capture d’écran de l’une des publications sur Facebook
Cette
capture publiée par l’internaute Salif Warma, le 12 juillet
2024, a recueilli plus de 2000 mentions (émoticônes), 1500 commentaires et 562
partages à la date du 11 août 2024. La même image postée par Yaméogo Larba, le même jour, a
enregistré plus de 6900 mentions, 5300 commentaires et 1600 partages.
En
plus de ces captures d’écran, d’autres internautes ont publié une vidéo de 1 minute 36 secondes qui montrerait en
vrai la piste (ré)aménagée et comment les avions ravitailleraient les
terroristes. En effet, la scène se déroule au milieu de hautes herbes et
d’arbres. Les premières images montrent un homme debout le regard fixé vers le
début de la piste. Derrière lui se trouvent deux motos et deux véhicules tout-terrain
semblables à ceux de forces armées. On voit par la suite l’arrivée d’un gros
avion sur la piste d’atterrissage en terre, difficile et soulevant de la poussière
au passage de l’avion. « Impossible de vous cacher la vérité et voici une piste
aménagée au Bénin où les avions viennent livrer des armes et des munitions, du
carburant, des médicaments aux groupes terroristes », indique la légende
de la vidéo.
Cette
séquence publiée sur Facebook par Ibrahim Officiel, un compte suivi
par 846 personnes et ayant 95 000 followers, a enregistré plus
de 17 000 lectures à la date du 11 août 2024.
La même vidéo a été postée par plusieurs internautes dont Pidou Omar Djaba avec cette
légende : « c'est de ça que le président Ibrahim Traoré parlait hier
concernant les bases militaires français au Bénin. Une piste d'atterrissage en
plein forêt ». Elle a été visualisée plus de 2900 fois toujours à la même
date.
Autre
chose, une photo prétend montrer l’avion à l’arrêt sur la piste. On voit seulement
ses gouvernes arrières de couleurs bleue et blanche avec le logo de la
compagnie Bar Aviation sur la gouverne en bleue. A côté de l’appareil, se
trouvent deux gros caissons, deux véhicules de chargement et d’autres
matériels. « Cette image a été prise par nos invisibles au Bénin, pendant
que les français déchargeaient du matériel militaire au profit des groupes terroristes,
sur une piste où les français forment des terroristes nos loin de la frontière
avec le Burkina Faso. Donc si parfois vous vous demandez d'où les terroristes
gagnent les armes et comment ils sont formés, poursuit la page, ceci est une
réponse à votre inquiétude. Les opérations se poursuivent à tous les niveaux »,
écrit la page Facebook BIR du Faso qui a publié la
photo.
De
plus, une autre capture d’écran fait croire que Google Maps a répertorié la supposée
base militaire française. La capture montre une image satellitaire sur laquelle
un point vert signalerait la présence de la prétendue base. En dehors de
Facebook, ces images ont aussi inondé X, TikTok et l’application WhatsApp.
« Bénin/Voici
une autre preuve de déchargement des équipements au profit des terroristes en
pleine forêt. Tous ça c'est au Bénin. C'est bel et bien chez PatriceTalon. Nous
allons vous montrer toutes les preuves possibles. La lutte continue.... »,
publie Sissoko Sora Demba sur X avec des captures
d’écran de l’avion roulant sur la piste et la photo des gouvernes arrières. 4959
internautes ont consulté cette publication. L’une des vidéos TikTok zoome sur l’aérodrome et la localité de Porga grâce à Google
Maps avec les propos accusatoires du Capitaine Ibrahim Traoré en voix off. Elle
totalise 677 900 lectures au 11 août 2024.
Capture d’écran de la publication sur l’applicationWhatsApp
Contexte
Toutes ces publications sont apparues sur les réseaux sociaux à la suite du discours du Capitaine Ibrahim Traoré "aux forces vives de la nation", le 11 juillet 2024. Une adresse au cours de laquelle le chef de l’Etat burkinabè a décliné sa vision pour les cinq ans à venir. C’est lors de son intervention sur la question sécuritaire, qu’il a accusé d’abord la Côte d'Ivoire et ensuite le Bénin de vouloir déstabiliser son pays.
«
…Personne ne viendra nous dire qu’au Bénin, il n’y a pas de bases françaises
dirigées contre nous. Nous avons les preuves sous la main. Deux bases
importantes. Nul ne peut le contester. Et je les mets au défi. Nous n’avons
rien contre le peuple béninois. Nous avons un problème avec la politique des
dirigeants béninois. Nous avons décidé de dire la vérité. Il y a bel et bien
deux bases : une vers Kandi et l’autre en allant vers Porga. Des pistes
ont été réaménagées à plus de 3000 m de long ; des avions
atterrissent ; les gens équipent et forment les terroristes là-bas. Nous
avons des enregistrements audios d’agents français là-bas qui se jouent le
centre des opérations des terroristes. Ils montent les opérations avec eux, ils
les aident à se soigner… », déclare Ibrahim Traoré sous les ovations des participants
rassemblées au palais des sports de Ouaga 2000. Ce discours est la copie
conforme des accusations de la junte nigérienne contre les dirigeants béninois.
Deux
méthodes simples ont permis de voir clair sur ces publications : la
recherche par mots et celle par image inversée. D’abord, « Porga »
recherché sur Google Maps permet de confirmer la présence d’une piste
d’atterrissage vers Porga. Il s’agit bien d’une piste d’atterrissage et non d’une
base ou encore d’un centre militaire de formation de terroristes comme le font
croire une partie des publications. Lieutenant-Colonel Vincent F. E. Honfoga, porte-parole
des Forces Armées béninoises (Fab), le confirme lors d’un entretien
qu’il a accordé à la télévision béninoise privée Eden Tv, le 21 juillet 2024.
« Je suis pilote d’avion et depuis 2007 où je suis sorti de mon école de
formation, j’ai toujours atterri sur cette piste… Je vous le dis de manière péremptoire,
la piste de Porga a toujours été utilisée au profit du tourisme (…) et elle n’est
pas utilisée par des expatriés », affirme le porte-parole des Fab.
Ensuite,
la recherche d’image inversée de la vidéo mène, entre autres, vers des démentis de certains internautes sur X, le 12
juillet 2024. « Cette vidéo est censée montrer l'arrivée au Bénin d'un
avion de transport sur une piste d'atterrissage utilisée par des terroristes du
Burkina Faso/mercenaires français. Cependant, cette vidéo ne constitue en aucun
cas une preuve ! Explication », publie Random Osint, une
page
qui traque les fake news, entre autres. Random Osint explique, photos à l’appui, que l'avion de
la vidéo est « un magnifique Lockheed L-100-30 Hercules immatriculé 5X-Sbr
de la compagnie ougandaise "Bar Aviation Uganda" ».
Toujours
avec cette recherche d’image inversée, on retrouve un autre compte X ;
celui d’un certain Dr
Jean Baptiste Zongo. Cet internaute qui totalise 288 abonnements 5734
abonnés, se décrit comme un libre penseur Burkinabè et analyste et critique sur
la situation sécuritaire au Sahel. Il confirme qu’il s’agit d’un avion de Bar
Aviation. Il va plus loin en indiquant que la vidéo a été enregistrée et
publiée sur TikTok par la compagnie elle-même. L’internaute publie le lien de la vidéo TikTok qui, en 38 secondes, présente des images semblables
traits pour traits à celles de la vidéo virale sur les réseaux sociaux. On y
voit aussi une partie de la photo montrant les gouvernes arrière de l’avion. Chose
intéressante, Dr Jean Baptiste Zongo révèle que l’appareil « a atterri au parc
de Zakouma (Tchad) transportant des rhinocéros ».
Dans
la vidéo TikTok, on peut voir de grands caissons contenant des rhinocéros. Le
drapeau du Tchad et les attributs de l’Ong African Parks sont s’inscrits sur les
caissons.
Une
nouvelle recherche avec les mots clés « African Parks, rhinocéros, Tchad,
Zakouma » conduisent directement vers une série de photos parmi lesquelles
celle des gouvernes arrières de l’avion, déjà retrouvée dans la vidéo TikTok de
Bar Aviation, et qui est aussi celle de la publication montrant l’avion à
l’arrêt.
Ces
photos ont été publiées sur Facebook par le ministère tchadien de l'Environnement,
de la Pêche et du Développement durable. Ce dernier informe qu’il s’agit de
l’accueil, « le 5 décembre 2023, de l’avion transportant cinq rhinocéros
en provenance de l’Afrique du Sud ». Le cargo s’est posé à « l’aérodrome
du parc national de Zakouma », lit-on.
Dans
la vidéo virale, l’aérodrome possède une déviation dans laquelle les motos et
véhicules sont garés. Cet indice correspond à celui de l’aérodrome de Zakouma tel que visible
sur Google Maps. Or, l’image de la piste de Porga présente une
végétation un peu plus dense que celles de la vidéo, de Zakouma et ne montre surtout
aucune déviation.
Nous
avons contacté Hamid Abdel-Aziz Hamid, ambassadeur du parc
national de Zakouma. Il confirme que la vidéo et la photo des gouvernes
arrières ont été prises le 5 décembre 2023 dans le parc. « On a entendu
dire que c’est la piste aménagée au Bénin pour livrer des armes et des munitions
aux groupes terroristes. Je tiens à vous assurer que cette information est
fausse. En tant qu'ambassadeur du parc, j'ai pu assister personnellement au
retour des rhinocéros noirs dans le parc national de Zakouma au Tchad, depuis
l’Afrique du Sud, grâce à l'action de l'Ong African Parks. Il est important de
ne pas se laisser manipuler par de telles fausses informations qui peuvent
avoir des conséquences graves », affirme l’ambassadeur du parc et témoin de
l’arrivée de l’avion. Ce dernier nous a également envoyé la vidéo de passage de
l’avion sur la piste, qu’il a prise lui-même sous un autre angle de vue.
La polémique sur la supposée base militaire française au Bénin est apparue fin 2021. Elle prend des proportions inattendues au fil des années. En plus des griefs contre la Cedeao, elle devient le principal objet du bras de fer entre le Bénin et le Niger.
Les
autorités béninoises et françaises n’ont de cesse d’affirmer qu’il n’y aucune
base militaire française au Bénin. « Je tiens à préciser que s'il est
constant que j'ai affirmé, en temps utile, que nous bénéficions de l'appui
d'instructeurs Français, Belges et Américains notamment, aucune base militaire
française n'est en construction dans notre pays, et davantage pas dans le
département de l'Alibori », écrit Wilfried Léandre Houngbédji sur sa page
Facebook, le 27 septembre 2023. Le lendemain, c’est-à-dire le 28 septembre
2023, le service de presse de l’Etat-major des armées françaises répondait à
notre courriel sur la polémique.
« Il
n’existe pas au Bénin de base militaire française. Les seuls militaires
permanents sont l’attaché de défense et les coopérants qui sont détachés auprès
du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Il y a
ponctuellement des Détachements d’instruction opérationnelle (Dio) temporaires
et de courte durée qui peuvent y être déployés composés de militaires issus des
Éléments français au Sénégal ou des Éléments français en Côte pour appuyer, à
leur demande, les forces armées béninoises par des actions de formation et
d’entraînement », détaille alors le service de presse de l’Etat-major des
armées françaises.
En
visite à Cotonou début décembre 2023, le chef d’Etat-major des armées
françaises, Général Thierry Burkhard, et son homologue béninois, Fructueux
Gbaguidi, ont réaffirmé en conférence de presse, le 9 décembre 2023, qu’il n’y
a pas de base militaire française au Bénin. Malgré ces démentis, la junte
nigérienne continue d’accuser et obtient désormais le renfort du régime Traoré
au Burkina Faso.
Le
15 juillet 2024, en réponse aux accusations du Capitaine Traoré, Marc Vizy,
ambassadeur de France près le Bénin, a redit sur les ondes de la télévision privée
Tvc, que son pays ne possède pas de base
militaire au Bénin.
Les
Fab l’ont également reprécisée sur Eden Tv, le 21 juillet 2024. « Je dirai de
manière péremptoire que le Bénin n’a pas vocation à avoir une base militaire
étrangère sur son sol et jusqu’à aujourd’hui le Bénin n’a pas de base militaire
étrangère sur son sol », affirme Lieutenant-Colonel Vincent F. E. Honfoga.
Verdict
Les photos qui prétendent montrer une base militaire à Porga, au Nord-ouest du Bénin, ou encore un ravitaillement de terroristes dans la zone, sont détournées de leurs contextes. Il en est de même pour la vidéo virale sur les réseaux sociaux. A l’instar de la photo des gouvernes arrières, cette séquence vidéo montre l’accueil d’un cargo de la compagnie aérienne Bar Aviation, transportant cinq rhinocéros en provenance de l’Afrique du Sud. Cette vidéo a été tournée le 5 décembre 2023, à l’aérodrome du parc national de Zakouma au Tchad, et non à Porga comme le font croire plusieurs publications au lendemain des déclarations du Capitaine Ibrahim Traoré.
Par Les Détecteurs, équipe de fact-checking de La Nation, avec l’appui de Factoscope.fr