La Nation Bénin...

Cedeao: Leçons à tirer des expériences en matière d’intégration régionale

Messages
Ambassadeur Théodore C. Loko Ambassadeur Théodore C. Loko

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), cinquante ans après sa création, a contribué à jeter les bases de l'intégration sous-régionale. Aujourd’hui enviée des autres organisations à caractère communautaire grâce à de notables progrès, elle reste un exemple en dépit des échecs dans certains domaines.

Par   Ambassadeur Théodore C. LOKO (à la retraite), le 30 mai 2025 à 08h09 Durée 3 min.
#Cedeao

Après cinquante ans d’existence, l’expérience de la Cedeao, fondée en 1975, offre une matière précieuse à l’analyse critique de l’intégration régionale en Afrique.

Elle révèle à la fois les avancées réalisées, les promesses non tenues, et les perspectives de refondation nécessaires.

Une première leçon essentielle peut être tirée du domaine économique et commercial, qui constitue historiquement le coeur du projet communautaire.

La Cedeao a permis de jeter les bases d’une libéralisation progressive du commerce entre les pays membres. Grâce à des dispositifs tels que le Schéma de Libéralisation des Échanges (Sle) ou le Protocole sur la libre circulation des personnes et des biens adopté en 1979, des progrès notables ont été enregistrés. Ces textes ont posé des jalons normatifs solides en faveur d’un espace communautaire fluide. Toutefois, dans la réalité, les résultats restent limités. Le commerce intra-communautaire demeure faible – autour de 10 à 15 % du commerce total –, et ce malgré les efforts affichés. Ce constat s’explique par la persistance de barrières non tarifaires, de dysfonctionnements logistiques, et par une faible industrialisation des économies nationales.

À titre comparatif, l’Union européenne, dès les années 1950, a fondé son projet d’union sur une base économique solide, avec le Traité de Rome (1957) instituant la Communauté économique européenne (Cee). Grâce à une industrialisation déjà avancée, un haut niveau d’infrastructures et des mécanismes de financement supranationaux (comme le Fonds de cohésion ou la Politique agricole commune), l’Ue a vu le commerce intra-européen atteindre plus de 60 %. L’écart est donc manifeste.

Cela conduit à une première conclusion : l’intégration économique ne peut être durable sans transformation structurelle des économies, sans équité dans les investissements, et sans institutions financières régionales robustes.

A côté de la dimension économique, l’expérience de la Cedeao offre une deuxième leçon significative sur le plan de la gouvernance politique et sécuritaire.

Sur ce point, l’organisation a émergé comme un acteur régional de référence, notamment en matière de prévention des conflits et de maintien de la paix. Ses interventions militaires et diplomatiques – au Liberia (1990), en Sierra Leone (1997), en Gambie (2017) – illustrent un engagement opérationnel courageux. L’adoption du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance (2001) témoigne aussi d’un engagement normatif vers des standards communs.

En comparaison, l’Union européenne s’est construite plus progressivement comme espace normatif, misant d’abord sur le « soft power » juridique (respect de l’État de droit, des droits fondamentaux, etc.) et institutionnel. La conditionnalité démocratique pour l’entrée dans l’Ue (Copenhague, 1993) a été un levier puissant de transformation politique en Europe centrale et orientale. L’Ue agit peu par la force, mais de manière très efficace par la loi, les sanctions économiques ciblées, ou les mécanismes de surveillance (comme le Semestre européen ou l’Olaf). Par contraste, la Cedeao peine à concilier ses interventions militaires ponctuelles avec une cohérence normative durable.

Ainsi, une 2e leçon se dessine : l’efficacité de l’intégration politique repose non seulement sur la capacité d’agir, mais aussi sur la stabilité normative, la prévisibilité institutionnelle et la légitimité démocratique d’ensemble.

L’Ue, malgré ses crises (Brexit, montée des populismes), conserve des garde-fous plus solides que ceux de la Cedeao.

Une troisième leçon peut être tirée de l’articulation complexe entre souveraineté nationale et solidarité régionale.

Les difficultés récurrentes autour du projet de monnaie unique, l’Eco, illustrent les clivages persistants entre les Etats de l’Afrique de l’Ouest. Les divergences macroéconomiques, les intérêts nationaux divergents et l’absence de mécanismes de solidarité financière renforcent la méfiance entre les membres. Le retrait annoncé en 2024 par le Mali, le Burkina Faso et le Niger reflète cette tension entre appartenance communautaire et affirmation de souveraineté.

Dans l’Union européenne, cette dialectique a aussi été forte, mais des compromis historiques – comme la création de la zone euro en 1999 – ont permis d’installer une monnaie unique, adossée à une Banque centrale européenne indépendante. Certes, la crise de l’euro (2010-2015) a révélé les limites d’une intégration monétaire sans union budgétaire, mais des outils de solidarité (comme le Mes, puis le plan de relance post-Covid) ont été mis en place. La Cedeao, à l’inverse, ne dispose ni d’une institution financière comparable ni d’un mécanisme de compensation solidaire. Cela invite à affirmer que l’adhésion à une communauté régionale exige une solidarité active, et non seulement une coordination technique ou diplomatique.

Enfin, une dernière leçon s’impose, tournée vers l’avenir.

L’expérience accumulée montre que l’intégration actuelle en Afrique de l’Ouest souffre de faiblesses structurelles : gouvernance trop centralisée par les chefs d’État, faible inclusion des citoyens, financement erratique des institutions régionales. La Cedeao reste largement un projet d’élites étatiques, sans ancrage réel dans les sociétés civiles ou les espaces démocratiques nationaux.

L’Union européenne, malgré sa technocratie souvent critiquée, a su développer un Parlement européen élu au suffrage universel, un espace public européen en construction, et des formes de participation citoyenne (initiatives populaires, consultations en ligne, rôle des Ong européennes).

L’Ue n’est pas un modèle parfait, mais elle incarne une intégration inclusive, démocratique, et juridiquement contraignante, que la Cedeao pourrait adapter à son contexte. Il devient donc nécessaire de repenser l’intégration ouest-africaine à travers des projets concrets – infrastructurels, énergétiques, numériques – mais aussi à travers une gouvernance plus démocratique, plus transparente et plus proche des peuples.

En somme, après un demi-siècle, la Cedeao illustre les promesses et les ambiguïtés de l’intégration régionale en Afrique. L’étude comparative avec l’Union européenne montre que les réussites ne dépendent pas d’un mimétisme institutionnel, mais d’un ancrage politique fort, de mécanismes de solidarité concrets, et d’une participation effective des peuples.

L’avenir de l’Afrique de l’Ouest réside peut-être dans une Cedeao repensée comme communauté des peuples, et non seulement comme assemblée des États.