La Nation Bénin...
L’organisation
de consultations à haut niveau entre les ministres des Affaires étrangères de
la Confédération et le Président de la Commission de la Cedeao, malgré la
rupture institutionnelle, manifeste une volonté politique forte de maintenir le
dialogue sur la base du respect mutuel des choix souverains des peuples. Le
communiqué du 22 mai 2025 sanctionnant ces assises marque une étape
diplomatique importante dans le contexte post-retrait des États membres de la
Confédération Aes (Burkina Faso, Mali, Niger) de la Cedeao.
Le communiqué du 22 mai 2025 marquant les consultations à haut niveau entre les ministres des Affaires étrangères de la Confédération et le Président de la Commission de la Cedeao, s’articule autour de quelques généralités (I) et met un accent particulier sur la souveraineté sociale (II).
I- Généralités
Trois importants éléments à souligner :
A/ Une affirmation de la souveraineté sociale comme fondement du dialogue régional
Le
communiqué marque une étape diplomatique importante dans le contexte
post-retrait des États membres de la Confédération Aes (Burkina Faso, Mali, Niger)
de la Cedeao.
L’organisation
de consultations à haut niveau entre les ministres des Affaires étrangères de
la Confédération et le Président de la Commission de la Cedeao, malgré la
rupture institutionnelle, manifeste une volonté politique forte de maintenir le
dialogue sur la base du respect mutuel des choix souverains des peuples.
Ce geste diplomatique est révélateur d’une nouvelle configuration de la souveraineté sociale : au-delà de la seule souveraineté étatique, il s’agit pour les pays de l’Aes de réaffirmer que leur projet régional alternatif repose sur les attentes populaires en matière de sécurité, de gouvernance, de dignité sociale, et de justice. En effet, le retrait de la Cedeao avait été justifié par une contestation populaire des logiques perçues comme technocratiques et peu solidaires de la Cedeao face aux crises sécuritaires. Ainsi, les consultations du 22 mai traduisent une reconnaissance implicite de la légitimité sociale de ces États à repenser leur coopération régionale.
B/ Une valorisation des acquis de l’intégration ouest-africaine malgré la crise institutionnelle
Le
choix du dialogue, et non de la rupture totale, montre que les parties
reconnaissent la valeur des acquis historiques de l’intégration
ouest-africaine, notamment :
•
la libre circulation des personnes et des biens,
•
les projets d’infrastructures partagées,
•
la coopération “monétaire” et économique,
•
les mécanismes de prévention et de gestion des conflits,
•
et la coordination dans les domaines humanitaire et environnemental.
Le communiqué s’inscrit dans une tentative de préserver ce socle commun, même dans un contexte de tensions. Il laisse entrevoir une vision d’intégration à géométrie variable, dans laquelle l’identité régionale transcende les configurations institutionnelles. C’est une opportunité pour repenser l’unité africaine non pas comme uniformité, mais comme cohérence politique articulée sur des intérêts collectifs.
C/ Enseignements pour l’avenir de l’Afrique : vers une gouvernance multiniveau ancrée dans la réalité des peuples
Ce
communiqué offre plusieurs enseignements stratégiques pour l’avenir du
continent africain, que l’on peut articuler sur trois échelles :
•
À l’échelle locale : Il souligne l’importance d’ancrer les dynamiques régionales
dans les aspirations des populations locales. La gouvernance régionale ne peut
être viable que si elle reflète les besoins concrets de sécurité, d’accès aux
services, de justice sociale. Cela invite à une régionalisation ascendante,
fondée sur les réalités communautaires.
•
À l’échelle nationale : Il illustre la nécessité pour les États de renégocier
leur insertion régionale à partir de leur projet politique national. Cela ouvre
la voie à une diplomatie plus souveraine, fondée sur des priorités endogènes,
tout en évitant l’isolement.
• À l’échelle régionale : Le dialogue amorcé suggère que la région ouest-africaine est en train de repenser ses modalités d’intégration. On passe d’un régionalisme de blocs à un régionalisme de réseaux, fondé sur le dialogue différencié, la coopération pragmatique et le respect mutuel de la souveraineté et des choix de développement.
II- Analyse de la souveraineté sociale comme moteur de réarticulation régionale en Afrique de l’ouest
A/ Définition
La
souveraineté sociale désigne la capacité d’un peuple à définir, à partir de ses
aspirations fondamentales, les modalités de son développement collectif, de sa
gouvernance politique, et de son inscription dans l’ordre régional et
international. Elle dépasse la simple souveraineté juridique ou territoriale
des États pour s’ancrer dans les droits fondamentaux, la justice sociale, la
participation démocratique et la dignité humaine.
Elle
repose sur trois piliers :
1.
L’autodétermination populaire : le droit des peuples à définir eux-mêmes les
modèles de société dans lesquels ils souhaitent vivre.
2.
La justice distributive : l’exigence d’une équité dans la répartition des
richesses, des ressources, et de l’accès aux opportunités économiques et
sociales.
3. La reconnaissance de la légitimité des autorités issues des dynamiques locales : communautés, sociétés civiles, autorités traditionnelles, etc.
B/ Une diplomatie fondée sur l’écoute des réalités populaires
La
souveraineté sociale invite à refonder la diplomatie non plus sur la seule
logique des États nations et des élites technocratiques, mais sur l’écoute des
besoins concrets des populations. Cela implique :
•
Une diplomatie inclusive, intégrant les mouvements sociaux, les collectivités
territoriales et les réseaux communautaires.
•
Des consultations locales préalables à toute négociation régionale, pour
garantir une meilleure représentativité.
• L’intégration des priorités sociales (sécurité alimentaire, justice sociale, accès à l’eau, éducation, emploi des jeunes) dans les agendas diplomatiques.
C/ Une intégration régionale refondée autour du bien commun
La
logique de souveraineté sociale redéfinit le projet régional non plus comme une
simple convergence institutionnelle, mais comme une coalition de solidarité
entre peuples.
Cela
entraîne :
•
Une revalorisation des approches de coopération par projet, fondées sur les
défis communs et les synergies locales (bassins de production, zones
transfrontalières, enjeux pastoraux, etc.).
•
La promotion d’une intégration différenciée : permettre des vitesses variables
selon les contextes sociaux et les besoins spécifiques, sans exclure la
solidarité.
• L’exigence d’une reddition de comptes au niveau régional, par des mécanismes de suivi participatif, avec implication de la société civile.
D/ Une gouvernance multiniveau articulée autour de la justice sociale
L’ancrage
dans la souveraineté sociale implique une gouvernance distribuée, non
centralisée, qui tienne compte :
•
Des niveaux locaux : villes, communes, régions, où les besoins s’expriment le
plus directement.
•
Du niveau national, comme garant de l’unité, de l’équité interterritoriale et
de la cohérence politique.
•
Du niveau régional, non comme suprastructure éloignée, mais comme cadre
d’amplification de la solidarité et de réponse aux vulnérabilités partagées
(insécurité, climat, migration, etc.).
Cela
suppose le développement d’approches de travail basées sur :
•
La co-construction des politiques publiques régionales avec les acteurs de
terrain.
•
Le renforcement des capacités locales, non pas comme simple décentralisation
technique, mais comme autonomisation politique.
•
La subsidiarité active, où chaque niveau institutionnel intervient là où il est
le plus pertinent selon les enjeux.
Le
communiqué du 22 mai 2025 est donc un signal fort: malgré des divergences
institutionnelles, l’Afrique de l’Ouest reste attachée à ses acquis historiques
d’intégration et cherche à les adapter aux nouvelles aspirations sociales. Ce
moment diplomatique suggère une mutation du régionalisme africain, qui ne se
mesure plus à l’aune des seuls traités, mais à la capacité des institutions à
dialoguer avec les peuples et leurs représentants légitimes.
Il
rappelle enfin que l’avenir de l’Afrique dépendra de sa capacité à articuler
souveraineté sociale, solidarité régionale, et gouvernance partagée, à travers
un multilatéralisme adapté à ses spécificités.
Analysé
à travers le prisme de la souveraineté sociale, il révèle une dynamique
nouvelle: celle d’un régionalisme enraciné dans les peuples, où la légitimité
découle moins des traités que des aspirations collectives à la justice, à la
sécurité, et à la participation.
L’Afrique, à travers cette évolution, peut ouvrir une voie originale de gouvernance régionale fondée sur l’éthique du commun, la pluridimensionnalité de la souveraineté, et une diplomatie à l’écoute des peuples.
Enseignant-chercheur