La Nation Bénin...
Introduction
La gouvernance en Afrique est fréquemment analysée à travers les prismes de la stabilité politique, du développement économique ou encore de la démocratie institutionnelle. Cependant, une approche de plus en plus mise en avant consiste à replacer la souveraineté sociale au cœur de cette gouvernance, en tant que condition première d'une légitimité politique durable et d’un développement endogène.
La souveraineté sociale, entendue comme la capacité des peuples à maîtriser collectivement leurs conditions d’existence, englobe des aspects tels que la sécurité alimentaire, l'accès aux services essentiels, la reconnaissance des valeurs culturelles et communautaires, et la justice sociale.
Cette
notion, bien que parfois éclipsée par la souveraineté politique classique,
s’avère être un fondement incontournable de la souveraineté tout court.
I-
La Souveraineté première : articulation entre souveraineté sociale et
souveraineté politique
A/ Une souveraineté enracinée dans le vécu des populations
La
souveraineté sociale peut être qualifiée de souveraineté première, car elle
précède toute forme d'organisation politique légitime. Elle renvoie au droit,
pour un peuple, de définir librement ses priorités sociales et économiques, en
lien avec son histoire, ses besoins fondamentaux et ses valeurs.
Dans la pensée de Jean-Jacques Rousseau, la souveraineté est indivisible et inaliénable, appartenant au peuple. Mais dans le contexte africain postcolonial, cette souveraineté populaire s’est souvent vue confisquée par des élites politiques, tandis que les dimensions sociales qui constituent le lien organique entre l'État et le peuple ont été marginalisées.
B/ Souveraineté politique sans souveraineté sociale: un mirage
L'histoire
contemporaine de nombreux pays africains montre que la souveraineté politique
proclamée à l’indépendance n’a pas toujours été accompagnée d’une véritable
émancipation sociale. La dépendance économique, les réformes imposées par les
institutions internationales (Fmi, Banque mondiale), et la fragilité des politiques
sociales ont maintenu les populations dans une forme de dépendance
structurelle, sapant la légitimité des États. Ainsi, une souveraineté politique
déconnectée des aspirations sociales devient une souveraineté vide.
II- Incidence sur la gouvernance
A/ Gouverner, c’est répondre aux besoins sociaux
Une
gouvernance efficace et légitime en Afrique ne peut se fonder uniquement sur la
stabilité institutionnelle ou les processus électoraux. Elle doit répondre à la
capacité de l'État à satisfaire les besoins fondamentaux : éducation, santé,
emploi, logement, etc. C’est en cela que la souveraineté sociale devient un
critère de gouvernance démocratique.
Les expériences participatives dans certaines communes du Sénégal ou du Bénin, ou encore les processus de budget participatif au Rwanda, illustrent comment la prise en compte de la souveraineté sociale renforce la cohésion et la légitimité de l’action publique.
B/ Rupture avec les modèles importés
Inscrire
la souveraineté sociale au cœur de la gouvernance, c’est aussi rompre avec les
modèles de gouvernance néolibérale qui ont privilégié la réduction des dépenses
sociales au nom de la rigueur budgétaire. Ce tournant doctrinal a été critiqué
par des penseurs africains comme Joseph Ki-Zerbo, qui appelait à un
développement «endogène», enraciné dans les réalités africaines.
III-
Incidence sur les projets de société
A/ Une vision de société centrée sur l’humain
La
souveraineté sociale permet de définir des projets de société inclusifs, fondés
non sur la croissance économique abstraite, mais sur le bien-être des
populations. Cela implique de repenser les priorités nationales à partir des
besoins exprimés par les citoyens : éducation en langues locales, accès à la
terre, protection des savoirs traditionnels, etc.
Des mouvements comme le panafricanisme social ou les réflexions sur l’écologie politique africaine intègrent pleinement cette dimension sociale dans les visions d’avenir pour le continent.
B/ Une revalorisation des dynamiques communautaires
En Afrique, les solidarités communautaires, longtemps dévalorisées au profit d’un État centralisé d’inspiration coloniale, sont en réalité des ressources de souveraineté sociale. Reconnaître ces dynamiques, c’est permettre l’émergence de projets de société enracinés dans les cultures locales, et donc plus durables.
IV-
Incidence sur les questions institutionnelles
A/ Institutions repensées à partir du social
Placer
la souveraineté sociale au centre implique de repenser les institutions, en les
rendant plus accessibles, décentralisées et participatives. Cela passe par une
refondation des Constitutions, intégrant des droits sociaux effectifs et
opposables, mais aussi par une représentation accrue des organisations sociales
et communautaires dans les instances de décision.
Par exemple, des initiatives comme les Constitutions de la Bolivie ou de l’Équateur (bien que hors d’Afrique) montrent comment des droits sociaux peuvent devenir des piliers institutionnels. En Afrique, des débats similaires existent, notamment autour de la reconnaissance juridique des chefferies traditionnelles ou des juridictions coutumières, qui peuvent contribuer à la souveraineté sociale si elles sont démocratiquement régulées.
B/ Démocratie sociale vs démocratie procédurale
La
démocratie en Afrique a trop souvent été réduite à sa dimension électorale. Or,
la souveraineté sociale appelle une démocratie substantielle, où le droit à la
santé, à la nourriture, à la culture, à la terre devient une exigence
institutionnelle. C’est un changement de paradigme : de la démocratie comme
procédure vers la démocratie comme contenu.
Conclusion
La
souveraineté sociale n’est pas une option dans le processus de consolidation
des États africains: elle en est le socle fondateur. Elle précède la
souveraineté politique, éclaire la gouvernance, oriente les projets de société
et exige une refondation des institutions.
Dans un contexte de crises multiples (climatique, économique, migratoire), elle offre une voie d’émancipation véritablement africaine : celle où le peuple retrouve la maîtrise de son destin collectif. C’est là que se joue la dignité retrouvée des sociétés africaines, au-delà des frontières et des institutions héritées de la colonisation.