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Tribune: La souveraineté sociale comme critère de gouvernance (Une réflexion personnelle à partir du discours du président du parlement panafricain, le sénateur Fortuné Zephania devant l’Assemblée nationale du Bénin le 10 avril 2025)

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Théodore C. Loko Théodore C. Loko

Introduction

La gouvernance en Afrique est fréquemment analysée à travers les prismes de la stabilité politique, du développement économique ou encore de la démocratie institutionnelle. Cependant, une approche de plus en plus mise en avant consiste à replacer la souveraineté sociale au cœur de cette gouvernance, en tant que condition première d'une légitimité politique durable et d’un développement endogène.

Par   Théodore C. Loko, le 11 avr. 2025 à 09h21 Durée 3 min.
#Parlement panafricain #Gouvernance #Assemblée nationale

La souveraineté sociale, entendue comme la capacité des peuples à maîtriser collectivement leurs conditions d’existence, englobe des aspects tels que la sécurité alimentaire, l'accès aux services essentiels, la reconnaissance des valeurs culturelles et communautaires, et la justice sociale.

Cette notion, bien que parfois éclipsée par la souveraineté politique classique, s’avère être un fondement incontournable de la souveraineté tout court.

I- La Souveraineté première : articulation entre souveraineté sociale et souveraineté politique

A/ Une souveraineté enracinée dans le vécu des populations

La souveraineté sociale peut être qualifiée de souveraineté première, car elle précède toute forme d'organisation politique légitime. Elle renvoie au droit, pour un peuple, de définir librement ses priorités sociales et économiques, en lien avec son histoire, ses besoins fondamentaux et ses valeurs.

Dans la pensée de Jean-Jacques Rousseau, la souveraineté est indivisible et inaliénable, appartenant au peuple. Mais dans le contexte africain postcolonial, cette souveraineté populaire s’est souvent vue confisquée par des élites politiques, tandis que les dimensions sociales qui constituent le lien organique entre l'État et le peuple ont été marginalisées.

B/ Souveraineté politique sans souveraineté sociale: un mirage

L'histoire contemporaine de nombreux pays africains montre que la souveraineté politique proclamée à l’indépendance n’a pas toujours été accompagnée d’une véritable émancipation sociale. La dépendance économique, les réformes imposées par les institutions internationales (Fmi, Banque mondiale), et la fragilité des politiques sociales ont maintenu les populations dans une forme de dépendance structurelle, sapant la légitimité des États. Ainsi, une souveraineté politique déconnectée des aspirations sociales devient une souveraineté vide.

II- Incidence sur la gouvernance

A/ Gouverner, c’est répondre aux besoins sociaux

Une gouvernance efficace et légitime en Afrique ne peut se fonder uniquement sur la stabilité institutionnelle ou les processus électoraux. Elle doit répondre à la capacité de l'État à satisfaire les besoins fondamentaux : éducation, santé, emploi, logement, etc. C’est en cela que la souveraineté sociale devient un critère de gouvernance démocratique.

Les expériences participatives dans certaines communes du Sénégal ou du Bénin, ou encore les processus de budget participatif au Rwanda, illustrent comment la prise en compte de la souveraineté sociale renforce la cohésion et la légitimité de l’action publique.

B/ Rupture avec les modèles importés 

Inscrire la souveraineté sociale au cœur de la gouvernance, c’est aussi rompre avec les modèles de gouvernance néolibérale qui ont privilégié la réduction des dépenses sociales au nom de la rigueur budgétaire. Ce tournant doctrinal a été critiqué par des penseurs africains comme Joseph Ki-Zerbo, qui appelait à un développement «endogène», enraciné dans les réalités africaines.

III- Incidence sur les projets de société

A/ Une vision de société centrée sur l’humain 

La souveraineté sociale permet de définir des projets de société inclusifs, fondés non sur la croissance économique abstraite, mais sur le bien-être des populations. Cela implique de repenser les priorités nationales à partir des besoins exprimés par les citoyens : éducation en langues locales, accès à la terre, protection des savoirs traditionnels, etc.

Des mouvements comme le panafricanisme social ou les réflexions sur l’écologie politique africaine intègrent pleinement cette dimension sociale dans les visions d’avenir pour le continent.

B/ Une revalorisation des dynamiques communautaires

En Afrique, les solidarités communautaires, longtemps dévalorisées au profit d’un État centralisé d’inspiration coloniale, sont en réalité des ressources de souveraineté sociale. Reconnaître ces dynamiques, c’est permettre l’émergence de projets de société enracinés dans les cultures locales, et donc plus durables.

IV- Incidence sur les questions institutionnelles

A/ Institutions repensées à partir du social

Placer la souveraineté sociale au centre implique de repenser les institutions, en les rendant plus accessibles, décentralisées et participatives. Cela passe par une refondation des Constitutions, intégrant des droits sociaux effectifs et opposables, mais aussi par une représentation accrue des organisations sociales et communautaires dans les instances de décision.

Par exemple, des initiatives comme les Constitutions de la Bolivie ou de l’Équateur (bien que hors d’Afrique) montrent comment des droits sociaux peuvent devenir des piliers institutionnels. En Afrique, des débats similaires existent, notamment autour de la reconnaissance juridique des chefferies traditionnelles ou des juridictions coutumières, qui peuvent contribuer à la souveraineté sociale si elles sont démocratiquement régulées.

B/ Démocratie sociale vs démocratie procédurale

La démocratie en Afrique a trop souvent été réduite à sa dimension électorale. Or, la souveraineté sociale appelle une démocratie substantielle, où le droit à la santé, à la nourriture, à la culture, à la terre devient une exigence institutionnelle. C’est un changement de paradigme : de la démocratie comme procédure vers la démocratie comme contenu.

Conclusion

La souveraineté sociale n’est pas une option dans le processus de consolidation des États africains: elle en est le socle fondateur. Elle précède la souveraineté politique, éclaire la gouvernance, oriente les projets de société et exige une refondation des institutions.

Dans un contexte de crises multiples (climatique, économique, migratoire), elle offre une voie d’émancipation véritablement africaine : celle où le peuple retrouve la maîtrise de son destin collectif. C’est là que se joue la dignité retrouvée des sociétés africaines, au-delà des frontières et des institutions héritées de la colonisation.

Ambassadeur Dr. Théodore C. LOKO (à la retraite)
Enseignant-chercheur
Président de “Capital Social Chrétien)