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David Fodé Faye au sujet de la ‘’legaltech’’: « Elle a permis de rendre les services juridiques plus accessibles… »

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David Fodé Faye David Fodé Faye

A l’instar d’autres disciplines, le droit n’a pas échappé aux nouvelles technologies. L’avènement de la legaltech a permis d’apporter des solutions potentielles pour améliorer l'accès à la justice dans les juridictions en Afrique et dans d'autres régions. Dans cet entretien, David Fodé Faye, enseignant de droit à l’Université Assane Seck de Ziguinchor au Sénégal et ‘’ Mangin Patner de Teranga LeX’’, cabinet de conseils juridiques spécialisé dans l’accompagnement des start-up, propose des pistes de solutions pour améliorer le droit et la pratique juridique sur le continent grâce au digital. 

Par   Isidore GOZO, le 30 avr. 2024 à 01h58 Durée 3 min.
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La Nation : Qu'entend-on par legaltech ?

 David Fodé Faye : Le terme « legaltech » désigne ‘’Legal Technology’’, anglicisme signifiant « technologie juridique». Du point de vue sémantique, il s’agit d’une contraction entre ces deux termes qui, aujourd’hui, a donné ce terme très à la mode, legaltech, un peu partout en Afrique. La "legaltech" est un néologisme qui désigne l'utilisation de la technologie pour fournir des services juridiques plus efficaces, accessibles et abordables. Cela inclut une gamme de technologies telles que les logiciels de gestion de cas, les plateformes de traitement des contrats, l'automatisation des tâches juridiques, les solutions de conformité réglementaire, les outils d'analyse prédictive et plus encore. Il faut relever que les legaltechs sont apparues aux Etats-Unis avec l’avènement de RocketLawyer et Legalzoom vers 2000 et une réelle volonté de la justice américaine de se moderniser. A côté de cette définition, nous considérons que la legaltech subit aujourd’hui une déformation, entendue comme un détournement sémantique de l’acception legaltech.

En effet, il faut le souligner, la notion ne désigne plus seulement la solution technologique appliquée aux services juridiques, mais elle désigne au-delà l’entreprise ou le cabinet en charge de la mise en œuvre de cette technologie. Une entreprise innovante dans le secteur des technologies numériques est appelée start-up, dans le secteur juridique, désormais elle est appelée Legaltech. L’on prend le contenu – solution technologique appliquée au droit – pour le contenant – la structure promotrice.  On peut retenir donc que la legaltech englobe un aspect technique, mais également juridique par l’effet d’un détournement sémantique.

 Quel est le but de la legaltech ?

 La legaltech est, d’une part, une réponse aux problèmes systémiques de l’accès à la justice et au droit, et d’autre part, une alternative pour une meilleure sécurité juridique et judiciaire. En tant que réponse aux problèmes systémiques de l’accès à la justice et au droit, la legaltech se présente comme une solution de premier plan.

En effet, l’introduction des technologies dans la sphère du droit permet un accès beaucoup plus simple à l’information (start-up spécialisée dans le secteur de l’information juridique) en mettant à la disposition des justiciables et des citoyens toute information utile. Elle se fait souvent dans un style moins académique et grâce à des techniques infographiques et de design thinking mises à contribution. Les juristes ont souvent mauvaise presse, car le jargon est ésotérique et généralement réservé aux initiés. Aujourd’hui, on note d’ailleurs une forte tendance de digitalisation portée par les autorités étatiques dans beaucoup de pays africains, dans des secteurs divers y compris le secteur de la justice. Cela s’explique par les difficultés similaires, auxquelles elles font face dans ce secteur.

En tant que technique de sécurisation juridique, il faut noter que le fort potentiel économique du continent et la part importante des investissements directs étrangers font que les acteurs juridiques, souvent appelés à faciliter ces opérations, sont amenés à conformer leur pratique professionnelle aux standards internationaux, d’où l’adoption des legaltechs en vue d’une meilleure sécurité juridique. Cela est d’autant plus vrai que le Bénin et les pays membres de l’Ohada mettent un point d’honneur sur la sécurité juridique et judiciaire.

 Quel bilan pourrait-on faire aujourd'hui des évolutions majeures du droit du numérique et de la legaltech?

 Le bilan des évolutions majeures du droit du numérique et de la legaltech jusqu'à aujourd'hui est généralement positif, avec quelques nuances à considérer. La legaltech a permis de rendre les services juridiques plus accessibles à un plus large éventail de personnes, en particulier à ceux qui ne peuvent pas se permettre les honoraires élevés des cabinets d'avocats traditionnels. L'automatisation des tâches juridiques répétitives et chronophages a permis aux professionnels du droit de se concentrer sur des aspects plus stratégiques et créatifs de leur travail. Cela a également conduit à une réduction des coûts pour les clients. Les logiciels de gestion des cas et des contrats ont facilité le suivi des affaires et la gestion des documents, améliorant ainsi l'efficacité opérationnelle des cabinets d'avocats et des départements juridiques. Les outils d'analyse prédictive utilisent des algorithmes pour évaluer les risques juridiques et prévoir les résultats des litiges. Cela aide les avocats et les entreprises à prendre des décisions plus éclairées et à gérer les risques de manière proactive. Les solutions de legaltech aident les entreprises à se conformer aux réglementations en vigueur en automatisant le suivi des exigences réglementaires et en fournissant des conseils juridiques spécifiques à chaque secteur.

 L'accès basique à la justice reste un problème dans certaines juridictions en Afrique. Quelles sont les solutions qu'offre la legaltech pour une justice numérique continue ?

 La legaltech offre plusieurs solutions potentielles pour améliorer l'accès à la justice dans les juridictions en Afrique et dans d'autres régions où ce problème persiste. La première solution est la mise en place de plateformes en ligne qui permettent de fournir des informations juridiques de base aux individus qui cherchent à comprendre leurs droits et obligations. Ces plateformes peuvent offrir des guides, et d'autres ressources pour aider les gens à naviguer dans le système juridique. Nous pouvons prendre comme exemple le ‘’Journal fac droit’’ au Sénégal qui s’est positionné aujourd’hui comme n°1 dans le secteur de l’information juridique, avec un fort potentiel de développement. La deuxième solution est l’offre des services de conseil juridique en ligne. Elle permet aux individus de consulter des avocats ou des conseillers juridiques via des chats en ligne, des appels vidéo ou d'autres moyens de communication électronique. Cela peut être particulièrement utile pour les personnes qui ne peuvent pas se rendre physiquement dans un cabinet d'avocat en raison de contraintes géographiques ou financières. La troisième solution est la médiation en ligne. Les plateformes de médiation en ligne facilitent la résolution des conflits en permettant aux parties de communiquer et de négocier à distance, souvent avec l'aide d'un médiateur neutre. Cela peut être particulièrement utile pour résoudre les litiges de faible importance sans avoir besoin d'aller devant un tribunal. C’est à l’instar de ‘’JustiCity’’ ou encore de la ‘’Mediation Academy South Africa’’. En investissant dans le développement et l'adoption de telles solutions, les gouvernements, les organisations non gouvernementales et les entreprises peuvent contribuer à surmonter les obstacles à l'accès à la justice dans les régions où cela reste un problème majeur.

 Comment soutenir le développement et la promotion des solutions technologiques innovantes et améliorer le droit et la pratique juridique sur le continent ?

 ‘’L’apero du droit numérique’’ que nous organisons est un exemple parfait pour faire la promotion des technologies numériques. En réalité, certains États africains tels que la Tunisie, le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire ont aménagé un cadre juridique spécifique à la promotion des start-up. Le Bénin s’inscrit dans la même logique avec un projet de décret toujours en cours de préparation sur les avantages accordés aux ‘’Jeunes entreprises numériques innovantes’’ (Jeni) notamment sur le plan fiscal (v. article 8 du projet de décret : Toute entreprise éligible et agréée bénéficie des avantages  fiscaux suivants pendant la durée de jouissance du statut: suspension  de la patente, suspension de la taxe sur la valeur ajoutée, suspension de l’impôt sur les bénéfices, suspension des impôts relatifs aux salaires et  du versement patronal sur salaire, suspension des droits d’enregistrement et de timbre à leur création), entre autres. Il faut certes une volonté politique et dans ce sens, nous saluons déjà les efforts fournis par les autorités qui ont compris que le numérique offre de belles opportunités de développement. Je me joins aux recommandations contenues dans le Rapport «État des lieux de l’écosystème digital et de l’entrepreneuriat numérique au Bénin ». Il faut reconnaitre que les legaltechs nourrissent les mêmes attentes que tous les acteurs de l’entrepreneuriat et de l’économie numérique à l’égard des autorités.

Pour ce faire, et en réponse aux gaps actuels de l’écosystème, il est recommandé de fournir un soutien multidimensionnel à l’entreprise numérique en prenant en compte sa singularité, en l’aidant à accéder à des analyses, de nouvelles opportunités de marché et de la veille stratégique pour orienter ses prises de décisions et accéder au capital à tous les stades de son développement. De développer des compétences au sein des entreprises digitales en mettant en place un cadre national de développement des compétences digitales afin d’aborder la question de gap de compétences de façon holistique et stratégique. Il est aussi recommandé de renforcer la collaboration public-privé en facilitant l’accès des entreprises aux informations et opportunités de collaboration avec le secteur public, en conduisant les analyses de marchés et de la veille stratégique, en développant un cadre propice pour faciliter l’accès des (petites) entreprises digitales locales aux marchés publics, et en poursuivant des efforts de dématérialisation des processus de passation de marchés publics. Il urge aussi de développer un écosystème axé sur les données probantes et plus inclusif, qui oriente les décisions et les interventions avec des données actualisées et pertinentes, tout en garantissant l’intégration de tous les segments de la société et la génération continue de données sur les dynamiques de l’écosystème numérique béninois. En sus de ces pistes de solutions, il est clair que la démocratisation des compétences spécifiques au secteur juridique, la modernisation de la justice et de son service public mais surtout l’intégration de modules de formation sur le numérique peuvent faire la différence. Cela permettra à la jeunesse d’être outillée pour profiter et faire profiter pleinement la communauté des opportunités du numérique dans le secteur juridique.