La Nation Bénin...
Pour Rémy Hounwanou, ainsi que l’indique le titre de son livre, le Fâ est une géomancie divinatoire du Golfe du Bénin. Et la géomancie, « une technique de divination dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Elle a été pratiquée par tous les peuples de la terre ». Et selon ses sources, le Fâ serait parvenu au Bénin vers le XVIIe siècle, en provenance du Nigeria, d’autant que la ville d’Ifè reste encore, de nos jours, pour tous les adeptes, le sanctuaire incontesté du Fâ.
A la question de savoir comment l’illustre bokonon Guèdègbé, grand clerc des rois Glèlè et Béhanzin, définissait le Fâ, Bernard Maupoil rapporte : « Tous les bokonon s’efforcent de définir Fâ avec pompe. Chacun cherche une définition qui intéresse, qui intrigue. Mais moi, quoique bokonon, je ne risquerai pas à définir ! Seule la nature miraculeuse qui a créé Fâ pourrait en parler savamment » (Maupoil B. : la géomancie à l’ancienne Côte des Esclaves, Institut d’Ethnologie, Paris 1961). Julien Alapini, dans son ouvrage : les Noix Sacrées, éd. Reguin, Monte-Carlo, 1950, observe : « Le Fa, aux dires de Allantanlokonon, un grand bokonon de Ouidah, est quelque chose qu’on ne peut connaître totalement (…). Le Fâ est le fils que Dieu aime et affectionne. Il jouit de sa vision constante (…). Il est par conséquent son porte-parole (…). Pour ce faire, il implique une technique (…). Le Fâ se présente comme une sorte de divination, un moyen de communication avec l’au-delà, les ancêtres défunts, les dieux… »L’auteur des Noix Sacrées note par ailleurs : « Le Dahoméen a une religion qui est théoriquement d’un ordre élevé, puisqu’elle ne comporte que le Mahu Dieu unique, Créateur suprême, Puissance incomparable. Entre Mahu et les hommes (…) sont d’innombrables dieux (…) intermédiaires qui intercèdent pour les hommes, auprès de Dieu. La plus importante de toutes ces divinités est le Fâ ».
Une constante se dégage de tout ce qui précède : le Fâ se dévoile comme la plus sublime et la plus authentique voie d’accès à l’invisible, au surnaturel. Autrement dit, le Fâ s’ordonne et s’appréhende comme l’infaillible chemin qui sert de liaison, d’interface, voire de symbiose harmonique entre la Création globale et son indescriptible Dieu-Créateur incomparable, le Tout-puissant Vodoun suprême, l’inaccessible Mahu.
En extrapolant, le Fâ peut se définir comme un symbolique système complexe, à la fois cosmogonique et cosmologique, basé sur des principes nodaux, d’énergétiques arcanes scripturaux, des modules syllabo-numériques, où s’innervent les savoirs et connaissances endogènes d’Afrique. Un système intemporel, parfaitement structuré, ingénieusement codé, qui englobe tous les aspects existentiels de l’être. À vrai dire, le Fâ détermine le cycle vital et le rythme d’évolution biologique, thermo-spatio-temporelle, de la nature humaine. De ce point de vue, la problématique du climat au niveau mondial ne saurait trouver une appréciable réponse cohérente, si l’on ne s’engage à investir et explorer les savoirs systémiques et sapientielles vertus du Fâ.
Verbe divin
Certes, habituellement, le profane ne considère que l’aspect divinatoire du Fâ qui prédit l’avenir et permet d’anticiper sur les événements fastes ou néfastes, survenus dans sa vie ou intervenant dans l’évolution de sa communauté native. Mais, pour certains initiés, au plan mystique et transcendantal, le Fâ, sans être une apparente divinité tangible, s’objective avant tout comme l’intentionnel plan du divin Créateur, le creuset ou la plate-forme d’actions, de réactions et d’interactions pour les principales divinités du panthéon vaudou, notamment dans l’espace culturel Adja-fon. Même si on ne l’adore ni ne lui voue un culte singulier, spécifique, il s’avère qu’aucune action, aucun sacrifice ni rituel propitiatoire, ne s’exécute sans une préalable consultation du Fâ. Sous cet angle, on peut considérer le Fâ comme le Verbe divin proféré : il participe à l’essence créatrice des êtres et des choses, à l’organisation structurelle, spatiale, de l’univers cosmique global ; il intervient comme un précieux médiateur, l’inévitable interface, entre la Nature-mère, le "Gbè", et son majestueux Ordonnateur-Créateur, le " Gbènon-Gbèdoto, Gblagada é ma su hon do" ! Serait-ce Mahu, Dieu, Allah, l’Être suprême, le Grand Architecte ?...
Dès lors, nécessaire et indispensable n’apparaît-il pas que la transmission des savoirs endogènes que véhicule le Fâ ne soit plus le privilège exclusif des hermétiques couvents vaudous ? Mais aussi et surtout l’apanage, la fonction régalienne, légitime, des institutions étatiques modernes, qui ont la responsabilité de définir la politique et les orientations du système éducatif national ! N’urge-t-il pas que s’affirme et se concrétise enfin une forte volonté politique qui consacre l’enseignement du Fâ dans les établissements scolaires et universitaires, par une audacieuse décision salutaire, irréversible, une loi et un décret ? Pourquoi donc cette incompréhensible négligence coupable, cet attentisme laxiste, quasi impardonnable, des dirigeants africains ?
Pourquoi introduire le Fa dans les programmes d’enseignements formels en Afrique ?
L’heure sonne en effet et interpelle les Africains pour qu’ils redécouvrent les principes-clés de leur authenticité culturelle inaliénable, les composantes matricielles de leur âme identitaire, et qu’ils se décident enfin à s’assumer, à assumer pleinement, totalement, leur existentiel destin sur cette terre des hommes. Quelle place et quel rôle joue le Fa dans le quotidien de leur vie ? Pourquoi urge-t-il d’inscrire ce trésor encyclopédique, épistémo-sapientiel, comme référentielle matière nodale dans les programmes des divers ordres et cycles d’enseignements formels ? Quelle décisive contribution patente, le Fâ apporterait-il alors au progrès ascendant, au dynamique développement souhaitable de l’Afrique ?
Bref, le Fâ peut-il sortir le continent africain, berceau de l’humanité, de l’impasse, de l’ornière fangeux d’un mal-développement chronique : sociopolitique, économique, financier et culturel ? Comment échapper à l’inexorable cataclysme chaotique qui menace le monde ? Autant de questions que tentera d’élucider la présente démarche citoyenne, modeste plaidoyer certes, mais dont l’objectif est de décoder et mettre en exergue de fabuleuses richesses inouïes, insoupçonnables, inhérentes à l’intrinsèque nature du Fâ, dans ses multiples et différents traits distinctifs, au plan métaphysique, épistémologique, logico-rationnel, bref, scientifique stricto sensu.
Dans une approche métaphysique, voire théologico-spirituelle, en tentant une sorte d’angéologie du Fâ, l’on peut considérer les Dou comme des anges ou esprits, des « wensagoun», porteurs de nouvelles, de messages qu’ils incarnent et qu’ils ont mission de transmettre à une foule, à un peuple : wen é sè do agoun. Les Dou, énergétiques arcanes modulaires, insolites entités vibratoires, servent ainsi de plates-formes véhiculaires, spéciaux canaux moléculaires et syllabo-numériques de transmission d’informations précises, collectées auprès d’innombrables créatures multiformes de l’univers visible et invisible, dans l’espace cosmique intersidéral, où ils "nagent" sans discontinuer, indéfiniment.
Dès lors, absurde est-il de penser que les prophètes et autres grands mystiques : mages, prêtres-rois, savants, etc., tous, initiés aux subtils secrets de la Nature-mère, largement éclairés, instruits sur les réalités surnaturelles, transcendantales, ont ainsi élevé très haut leur niveau de conscience jusqu’à se rapprocher de la divine Conscience créatrice ? À telle enseigne qu’ils arrivent à capter les ondes vibratoires qu’émettent les entités célestes en direction des hommes, leurs semblables, qui errent encore dans les sinistres méandres funestes des mondes inférieurs, tristes vallées de larmes où ils ploient sous les pesanteurs déterministes, contingentes, de l’espace et du temps !
S’inscriraient-ils dans ce sillage, Hermès trismégiste, Élie, Melchisédech, Moïse, Salomon, Jésus, Saül,
Socrate, Pythagore…, dont, pour certains, les faits et gestes sont évoqués et relatés dans le Livre des livres : la Bible?
Tables des lois
À prendre l’exemple de Moïse, n’était-il pas parvenu à l’illumination christique, l’éveil extatique, supra-conscient, de son être intime, de sorte à découvrir sa véritable nature, sa divinité intrinsèque ? D’où l’allégorie biblique de sa rencontre avec Dieu sur le Mont Sinaï ! De fait, les deux tables de lois procèderaient des révélations sublimes qu’il reçut sur les principiels arcanes du Fâ, grâce à sa nouvelle dimension mystique, tout-à-fait christique ; ainsi la première table de lois concernerait-il les quatre premiers arcanes majeurs du Fâ : Gbé, Yèkou, Woli, Di, à travers lesquels se dévoile le processus de l’œuvre créatrice de la Providence divine dans l’espace-temps : « Que la Lumière soit ! … » (Cf. Bible, Gn). Gbé et Yèkou symbolisent en effet l’alternance du jour et de la nuit, la vie et la mort, le soleil et la lune, l’Est et l’Ouest, tandis que Di et Woli représentent l’un, l’empyrée céleste, les hauteurs, le Nord magnétique ou zénithal ; et l’autre, l’infernal gouffre abyssal, le bas, le Sud d’où se déchaînent d’incompressibles cyclones dévastateurs. Cette première table de lois semble renseigner sur l’omniscience, l’omnipotence et l’omniprésence de l’Être suprême, le souverain Dieu-Créateur de l’Univers global, visible et invisible.
La deuxième table de lois regroupe les douze autres arcanes primaires, répartis en trois catégories de quatre arcanes semblables, aux fonctions spécifiques : d’abord, Guda, Sa, Tula et Lètè ; ensuite, Abla, Aklan, Trukpin, Kâ ; puis Losso, Wlin, Tchè, Fu. Ces arcanes concerneraient les différents types de créatures existentielles, et paraissent définir la qualité de leurs relations ou rapports avec leur Suprême Créateur insurmontable et immortel !
La kabbale juive, inspirée des deux tables de lois de Moïse, n’est en réalité que l’expression de la volonté de certains initiés d’approfondir, avec plus de détermination, les mirifiques savoirs et connaissances prestigieuses, dissimulés dans les principiels arcanes ou Dou du Fâ. L’on a tendance, du reste, à oublier que Moïse, sauvé des eaux, vécut à la cour des pharaons, et qu’à ce titre, comme les hauts dignitaires, il fut initié aux mystères et doctrines ésotériques fondés sur le Fâ. C’était la substance même des enseignements dispensés, avec soin et minutie, dans les temples de l’Égypte antique...
A suivre !
*Fâlogicien