La Nation Bénin...
Les
cours en semaine, les platines en week-end. Estelle Chella Kouton est partagée
entre deux mondes qu’elle sert avec la même passion. Quand elle n’est pas à la
craie, elle est à la manipulation des boutons.
Casquette
bien relevée, chemise à manches retroussées, jeans et sneakers, démarche
garçonnière… Estelle Chella Kouton, alias Sta Zik Dj ne fait pas ses 51 ans.
Enseignante certifiée d’histoire et géographie au Collège d’enseignement
général les Pylônes d’Agla à Cotonou, cette mère de famille qui s’est engagée
au service de la craie depuis 1997 en est à sa vingt-huitième année de service.
Les journées de celle que les élèves appellent communément « la Star» ne se
ressemblent pas, selon qu’elle doit prendre la direction des salles de classe
ou des cabines. Les journées d’Estelle sont classiques. Un litre d’eau au
réveil, lecture et relecture des fiches préparées depuis la veille, départ pour
les cours. Mais la différence avec ceux qui, comme elle, ont opté pour le noble
métier de l’enseignement, c’est que ses classes démarrent souvent par une
petite note d’ambiance. Une plus-value qu’expérimente depuis quelques années
l’enseignante, non sans succès. « Quand je rentre en salle, je commence par une
toute petite ambiance, juste pour égayer les apprenants, pour les mettre dans
une bonne situation, histoire de leur permettre de mieux assimiler les cours…
Mes élèves sont en majorité très jeunes et ils aiment l’ambiance, ils adorent
le show. Et comme ils savent que leur professeur est Dj, ils sont toujours
contents de me voir devant eux », lâche, souriante la Prof. Le résultat
s’ensuit aussitôt. « Ils sont contents ». Ce petit rituel achevé, place aux
cours. A la fin des classes, l’enseignante retrouve son domicile, s’impose un
repos bien mérité avant de renouer avec les cours de l’après-midi. En soirée,
priorité à la vie de famille. Elle passe par la cuisine avant de retrouver ses
fiches, confie-t-elle. La vie de Sta Zik Dj, en semaine, se limite à ses
obligations professionnelles et à sa vie de famille. Mais le week-end, tout
change. « Elle est dehors ». Ses doigts libèrent la craie pour retrouver cette
fois-ci les mille et un boutons de sa platine.
Pour
cette ancienne footballeuse qui aurait pu faire carrière dans le football
professionnel, le micro est une passion de vieille date. Mais l’opportunité a
toujours fait défaut. Du moins jusqu’à ses années de vacation dans
l’enseignement où, répondre à certains besoins pendant les périodes de vacances
relève d’un combat. La galère étant source d’inspiration, sa passion lui
fouette sans cesse l’esprit et elle décide de s’y consacrer. «Il m’arrivait
souvent de réfléchir sur ma vie. Qu’est-ce que je peux faire pour joindre les
deux bouts ? Et l’idée m’est venue de commencer par garder le micro. Je suis
enseignante. Parler devant le public, ce n’est pas un souci pour moi. Je me
suis dit que si je me lançais dans cette passion de maître de cérémonie, est-ce
que ça ne va pas donner quelque chose? J’ai commencé », confie-t-elle,
remontant le temps. Quand j’ai été admise dans la fonction publique,
reprend-elle, «j’ai eu les moyens de me créer ma propre sonorisation et j’ai
mis au point ma petite entreprise pour m’y consacrer ».
Cette
option découle aussi d’une mauvaise expérience qu’elle raconte non sans peine.
« Avant, je me faisais accompagner par des Dj, qui étaient mes anciens élèves,
la majorité. Un jour, je devais me retrouver sur un événement, et j’ai sollicité
un Dj qui fut un de mes anciens élèves. Il m’a donné son Ok, mais à l’heure de
l’évènement, il m’a fait un faux bond et je me suis retrouvée en difficulté
devant le client ». Et même si elle a pu sauver la face avec une solution
alternative, elle s’était promise de s’épargner un tel risque à l’avenir, ce
qui passe par l’achat de ses propres équipements. Cela ne constitue plus
aujourd’hui une difficulté. Bien équipée, matériel en constante mise à jour, la
Prof-Dj ne cesse aussi de se cultiver à travers des cours en ligne et des
tutos. C’est d’ailleurs ce même incident qui la propulse vers les platines à
proprement parler et depuis, elle ne s’en lasse plus.
« Ambianceuse » à gogo
Quand
sonne pour Sta Zik Dj l’heure de l’animation, c’est ambiance à gogo. La
Première et la Seconde Guerre mondiale, l’origine et le fonctionnement de
l’Onu, la révolution industrielle, l’évolution de la production cotonnière au
Bénin, les potentialités du commerce béninois, les freins au développement, la
société industrielle, le capitalisme industriel et la question ouvrière… Et
toutes les autres thématiques abordées en histoire et géographie cèdent place
aux sonorités urbaines, à la musique traditionnelle, au zouk, à l’afrobeat, à
l’adjapiano, au massègohoun, au gogohoun… Bref, tous les rythmes y passent. On
pourrait bien se demander ce que vient chercher une enseignante qui se trouve à
la porte de presque trente ans de carrière dans le rôle de Dj. Pour Estelle,
c’est une passion de vieille date qui lui est restée collée à la peau. Et même
si ses apprenants sont contents de savoir qu’elle est aussi Dj, l’encouragent,
la recommandent et parfois même l’imposent à leurs parents pour des
manifestations en famille, ce n’est pas pour autant qu’elle est toujours
partout adoubée. Certes elle fait l’objet de nombreuses sollicitations, mais
l’option d’une enseignante d’associer l’animation à son métier est parfois mal
interprétée par certains. Qu’importe ! Pour Estelle, semer la joie dans les
cœurs, c’est le plus important. «Certains sont étonnés de savoir que je suis
enseignante. Quand ils ne sont pas là au départ, au début d’un événement, ils
l’apprennent au cours de l’évènement et ne manquent de s’en étonner »,
relate-t-elle souvent. A la fin de la plupart de ses prestations, des
compliments affluent. Ce qui pour elle, constitue la plus importante des
rémunérations.
Un modèle inspirant
Au
Collège d’enseignement général les Pylônes, Estelle Chella Kouton passe pour
une fierté aussi bien pour sa famille que son entourage. A son garçon ainé,
elle a inoculé le virus du micro. Sa fille, elle en est plus que fière. Elle ne
manque aucune occasion pour exprimer combien « heureuse» elle est d’avoir une
mère qui, en plus d’exercer le plus noble métier au monde, s’essaie à une activité
sur laquelle les femmes sont plutôt rares. Comme elle, la plupart des
apprenantes de sa mère sont entre fierté et source d’inspiration. La plupart
des filles qui croisent le chemin de la Prof-Dj lui demandent astuces et
conseils pour suivre ses pas. « Je les encourage. Mais je leur explique aussi
qu’il faut d’abord qu’elles finissent les études et qu’elles trouvent un
travail bien rémunéré. Quitte à ce que ce métier de Dj soit pour elles une
activité secondaire parce qu’il arrive des moments, comme on le dit, de vaches
maigres. Nous sommes dans un contexte où le métier de Dj ne nourrit pas comme
cela se doit son homme, conseille l’enseignante. S’il faut en vivre, ce n’est
ni au Bénin, ni en Afrique, nuance-t-elle. En plus de mixer les sons, ne vous
étonnez pas de la voir sauter le pas au micro en produisant ses propres
compositions. Eh oui, faire sortir un album ne fait pas partie de ses projets
imminents, mais nombre de ses proches l’y encouragent. « Je réfléchis à ça.
Seulement que je n’ai pas encore l’inspiration de devenir artiste »,
répond-elle.
Si elle nourrit encore une ambition dans l’enseignement, c’est peut-être de devenir directrice, mais prévient-elle, « cela ne m’empêche pas de développer ma passion. Parce que au-delà de cette passion, c’est la joie que je donne et que je donne à mon cœur. Je suis d’un certain âge. Et parfois, quand on me voit, on ne me colle pas à cet âge-là. Juste parce que je vis ma passion et je donne de la joie à mon cœur, au-delà de l’aspect pécuniaire... Quand je vois les gens danser, s’amuser, moi-même, cela me motive. Cela me déstresse », confie-t-elle. Cette joie de vivre transparait aussi dans la philosophie de l’enseignement. Celle-là même qui voudrait qu’elle soit professionnelle et intéresse ses apprenants à ce qu’elle entend faire. « Je me sens tellement à l’aise que ce soit dans le domaine de l’enseignement ou bien dans le métier de Dj. Je gagne beaucoup de choses surtout en connaissances. Ses meilleurs souvenirs, ce sont ses apprenants qu’elle redécouvre à l’occasion de ses prestations. «J’ai des élèves qui sont devenus des personnalités aujourd’hui. Je suis fière de les croiser. Quand vous êtes enseignante, vous voyez vos enfants prospérer, c’est la plus grande joie. C’est la meilleure joie».
Faire danser le chef de l’Etat !
Si
elle caresse un rêve en plus de ses multiples succès, c’est de faire danser le
premier des Béninois. Convaincue de son art, assurée de son talent, Sta Zik Dj
sait que le chef de l’Etat se lèvera pour exécuter des pas de danse si elle en
vient un jour à le retrouver sur un évènement qu’elle anime. Elle attend ce
moment comme on attend le messie et y prie tous les jours. Ce moment, elle ne
l’appréhende pas comme une consécration. Bien au contraire, ce serait le
plaisir ultime qu’elle tirerait de son parcours. En attendant, elle sème la
bonne ambiance sur tous les évènements où elle est invitée. Prester en tant que Dj est un plaisir pour
elle. Des gains, elle en glane aussi. Mais ceci ne détermine pas ses choix.
Dans ce milieu professionnel où l’honnêteté est la chose la moins partagée avec
de nombreux Dj qui mettent à mal leurs engagements devant des offres plus
alléchantes, Sta Zik Dj ne déroge pas à ses principes. Quand elle a donné sa
parole pour un contrat de vingt mille francs, même une offre d’un million ne
lui fera pas changer d’avis. « Je peux trouver un collègue pour me remplacer
mais je ne joue pas avec la parole donnée», note-t-elle. D’ailleurs, c’est en
servant les petites bourses que l’opportunité s’offre d’en gagner plus, confesse-t-elle,
assurant avoir fait maintes fois l’expérience.
L’autre souhait auquel elle tient, c’est d’exercer sur les platines jusqu’à l’âge de 95 ans si la providence lui en laisse le choix. A ses 80 ans, elle projette une belle fête d’anniversaire où elle animera elle-même la partie. La seule chose qu’elle ne fera pas par contre, c’est de maintenir la craie au-delà de sa retraite.