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Exposition « Nu, est ce spectre ! » à Ouidah: Des artistes révèlent trois facettes du vodun

Culture
La tête de cheval sculptée dans du granite La tête de cheval sculptée dans du granite

Claudine Dan, Charly Djikou et Julien Dègan, des artistes béninois peintres et sculpteurs sont en exposition à Ouidah depuis le 10 janvier 2025, et ce pour deux semaines. Ils présentent aux participants aux Vodun days et aux autres des tableaux et sculptures qui rappellent que le vodun est aussi un agencement de couleurs avec des réalisations en bois avec ou en pierre.

Par   Ariel GBAGUIDI, le 17 janv. 2025 à 05h47 Durée 3 min.
#Exposition d’œuvres d’art

Une tête de cheval sculptée dans du granite. A première vue, l’on croirait découvrir une œuvre venue de l'Occident. Mais elle a bel et bien été réalisée au Bénin. Charly Djikou en est le créateur. L’artiste sculpteur est d’ailleurs l’un des Béninois qui poncent le granite pour en faire une œuvre d’art.

Dans l’exposition « Nu, est ce spectre ! » qu’il co-anime, à Ouidah, avec Claudine Dan, artiste-peintre, et Julien Dègan, artiste-peintre et sculpteur sur bois, la tête de cheval, première œuvre à découvrir par le visiteur, capte l’attention. Elle pèse des kilos. D’autres œuvres de Charly Djikou notamment des oiseaux taillés toujours dans du granite entrainent le visiteur.

Puis, les tableaux aux mille couleurs de Claudine Dan et les sculptures en bois et peintures de Julien Dègan, inspirés de la tradition béninoise et du vodun, plongent le visiteur dans un voyage de dialogue entre modernité et tradition, et vodun et écologie.

Une trentaine d’œuvres d’art sont à explorer pendant la visite de l'exposition. « Le vodun est un patrimoine à célébrer. Il faut que les gens puissent aller au-delà. En tant qu'éducateur et en m'impliquant dans cette exposition, il s'agit  de révéler des facettes du vodun, parce que le vodun est dans le bois, le vodun est dans les couleurs, le vodun est autour de nous, et nous passons sur le vodun sans comprendre. Tout cela nous guide… », explique Julien Dègan.

Dans cette aventure à trois, Claudine Dan fait découvrir ses belles peintures aux couleurs multiples et variées. Ses œuvres présentent en effet des superpositions de couleurs pour dégager une expression culturelle mystique et spirituelle. Une façon de montrer au public que les couleurs sont aussi partie intégrante du vodun, quel que soit le type de vodun. Comme quoi, le vodun n’existerait pas sans les couleurs.

L’une des sculptures de Julien Dègan qui retient l’attention du visiteur est l’œuvre intitulée  « Hoxo », c'est-à-dire les jumeaux, représentant un vodun. « La sculpture présente les Hoxo, et leur maman est au milieu. Je veux parler ici de nos traditions qui se dégradent », explique Julien Dègan, admirant encore et encore cette sculpture en bois accrochée au mur.

« D'abord, j'ai travaillé avec un bois usé pour exprimer l'idée d'usure. Il faut une renaissance pour notre culture. Moi, j'ai un faible pour les jumeaux et les mamans des jumeaux parce que c'est tout un mystère, et les jumeaux pour moi, c'est l'équilibre du monde », ajoute le professeur certifié d’anglais et directeur de Ceg à la retraite. La visite des œuvres se poursuit au premier étage de l’hôtel Rio et s’achève par une peinture qui résonne fort dans la tête et suscite réflexions : « l’Appel du vodun ».

« L’appel du vodun, c'est-à-dire l'instinct intime qui nous oblige à aller vers le vodun. Le vodun, c’est la fraîcheur. Le bleu sur le tableau, c'est la fraîcheur, le bleu c'est le ciel, le bleu c'est l'eau. Et les perles sur la peinture symbolisent la résistance parce que ce sont des perles appelées Djènana. Le Djènana est une perle sacrée dans le domaine vodun, qui est réputée pour sa résistance au feu. Quand on met ça dans le feu, ça ne brûle pas », explique encore Julien Dègan. Aussi, à travers cette peinture, voudrait-il inviter à rechercher la résistance du Djènana, à se montrer résilient dans nos actions comme le vodun qui a résisté à l'esclavage, aux religions étrangères et qui, ironie du sort, a finalement été propagé dans certains pays tels que le Brésil et Haïti.

Claudine Dan, peintre

Née en 1968, Claudine Dan vit et travaille entre le Bénin et la France. Enseignante des mathématiques, elle a été piquée par le virus de la peinture après 20 ans d'enseignement. « Des mathématiques à la peinture, ma vision consiste à mettre sur toile les problématiques de la libération de l'âme. Les mots ne peuvent pas tout dire, ne peuvent pas tout exprimer. C'est ce qui m'amène à utiliser le canal artistique à travers la peinture pour faire sortir les émotions, les non-dits et l'expression du moi intérieur, qui souvent ont été étouffés par l'éducation et l'école. Notre société ne laisse pas trop de place à l'expression spontanée. Mon premier projet a été d'écrire les mathématiques en bande dessinée pour laisser aux apprenants une approche ludique tout en gardant les fondements de la théorie mathématique. Cette soif du partage m'a aussitôt conduite à initier un atelier mobile créatif avec les enfants de 6 à 12 ans. J'utilise les fondements de la science et des mathématiques pour m'exprimer de façon ludique à travers l'expression artistique, notamment la peinture. J'utilise les formes géométriques, la symétrie axiale, la symétrie centrale. La projection orthogonale, la fractale pour donner forme à mes créations », dit-elle. Claudine Dan peint les mathématiques, formule sa joie de vivre, avec une intensité transparente.

Charly Djikou, sculpteur

Né en 1973 à Bohicon, Charly Djikou est un célèbre artiste béninois sculpteur de pierre, l'un des pionniers dans le domaine et ayant à son actif plus de vingt ans d'expérience dans la sculpture de la pierre. « Pour l'artiste, la Pierre n'est pas rigide, elle est force, d'où la nécessité de l'observer, de l'écouter, mais surtout de l'accepter pour finalement la sculpter. L'essentiel de la démarche de Charly Djikou est d'en accepter et d'en conserver l'identité : sa forme, ses nuances, ses textures. Guidée par la vibration de la matière, la composition de l'œuvre oscille subtilement entre les qualités naturelles de la pierre et la vision future de l'artiste (...) A travers ces œuvres, Charly Djikou aborde l'histoire des cultures du Bénin. Il déploie son horizon philosophique et ses réflexions autour du vivre-ensemble, l'amour, la paix, l'identité, la conscience de l'être humain. Il évoque poétiquement ce qui anime, ce qui brûle au fond de lui », avait écrit Marion Hamard, ancienne directrice artistique du Centre de Lobozounkpa.

Julien Dègan, peintre et sculpteur

Le travail de Julien Dègan se veut porteur de rêveries, de poétiques et de polychromies. Le doute est un massif important dans son acte de création. « L'acte de création est la révélation du lien entre la vie intérieure et la vie extérieure, il propose et interroge », affirme-t-il. Il est un artiste plasticien inquiet qui voit dans les limites visuelles du réel comme un prétexte pour écrire de nouvelles pages d'une histoire psychédélique. La couleur est une matière qui lui sert d'ancrage pour habiller les archives du temps, choses qu'il travaille à exhumer, à faire voir. Bois, objets usagés, Julien Dègan donne à voir des constructions organiques de notre environnement. Le quotidien n'est jamais loin. Il est omniprésent dans les propositions plastiques auxquelles Julien prête ses formes.

Né en 1962 à Cotonou, Julien Dègan est éducateur de formation, et un dévot d'une poésie-nature. Très tôt, au collège, il intégra la section Arts plastiques, et le théâtre de la coopérative scolaire où il a démontré une certaine sollicitude pour le dessin, l’illustration et la peinture. Son œuvre est abstraite, et dépeint les écorchures humaines sur dame nature. Dans ses constellations de couleurs, ce sont des métaphores liées à la perplexité d'un être en proie à des interrogations sur l'essence des humanités qu'il écrit. Que faisons-nous au monde ? Qu’apportons-nous au monde ? Comment rêvons-nous du monde ? Le sort réservé aux futures générations l'obsède et constitue un des ferments de son processus créatif. Le narratif qui parcourt ses œuvres picturales, et sculpturales, se présente alors comme un manifeste de protection de l'environnement. Le discours est désintéressé. Il veut à travers ses créations, dire, montrer, sans jamais verser dans les travers des lieux communs.