La Nation Bénin...
L’artiste congolais Tankwey Mulut Jean-Jacques, invité de
Laboratorio Arts Contemporains dans le cadre de son programme de résidences en
immersion vogue entre mémoire, spiritualité et innovation. Il s’inspire des
traditions pour voler au cœur de la modernité avec une touche architecturale
dont les supports sont empruntés au quotidien et au rituel.
Ouidah, avec son histoire et son énergie unique a été le
terreau idéal pour ce que l’on pourrait, sans exagérer, qualifier d’une
renaissance africaine. La résidence au Bénin de Tankwey Mulut Jean-Jacques,
Tankila de son nom d’artiste, bien plus qu’un simple séjour de création, marque
l’émergence d’une nouvelle génération de créateurs africains qui pensent leur
art comme outil de transformation, de connexion et de transmission. Un art qui
assume pleinement ses racines, tout en s’ouvrant au reste du monde. « Nous
sommes là pour collaborer, pour échanger entre Africains, mais aussi pour dire
au monde que l’Afrique pense, crée, invente. L’art, chez nous, est lié à la
mémoire, à la spiritualité, à la communauté. Il est vivant », soutient le
Congolais.
Ce dont accouche cet artiste-designer et manager au terme
de son séjour, c’est une immersion entre objets, symboles et rites. Tankila est
reconnu pour son approche hybride du design, où se croisent art, technologie,
artisanat et mémoire. À travers son Tankila Studio et la Kinshasa Design Week
(Kindeswe), il milite pour un design ancré dans les réalités africaines,
détournant les objets du quotidien pour leur offrir une nouvelle vie chargée de
sens. Au Bénin, cette démarche s’est incarnée dans une installation poignante,
où se mêlent offrandes aux divinités, senteurs rituelles et matériaux
traditionnels bien évidemment avec une once de modernité. L’œuvre qui ne manque
pas de curiosité s’identifie à un dialogue avec le monde invisible. Elle
s’inspire du « Agbassa », l’autel symbolique chez les dignitaires vaudous et
convoque les esprits à travers des objets chargés : bouteilles de sodabi,
récipients d’eau, et autres éléments d’invocation. «On a travaillé les
senteurs, les odeurs… », explique Tankila pour en rajouter à sa démarche
artistique. Son œuvre constitue un clin d’œil à l’histoire et aux savoirs
ancestraux.
Connecter des scènes africaines
Au-delà de la création, Tankila incarne une vision
entrepreneuriale audacieuse. À Kinshasa, où les artistes sont souvent en
freelance et peu structurés, il a voulu penser une autre voie, celle d’une
entreprise culturelle qui s’identifie et fonctionne comme telle. « Je suis
designer avant tout. Mais je voulais créer une structure, développer une
économie autour du design, un métier encore méconnu chez nous », confie-t-il.
Cette dynamique l’a conduit à lancer, dès 2019, la Kinshasa Design Week. Après
une première édition prometteuse, la deuxième en 2024 avait pour objectif
d’ouvrir la création au plus grand nombre. À l’issue de sa résidence, et après
une belle baignade dans l’écosystème culturel béninois, Tankila annonce l'envie
d’étendre des studios et pavillons à Ouidah pour la prochaine édition de la
biennale. Une manière pour l’artiste de renforcer les ponts tissés entre
Kinshasa et Ouidah, entre pratiques artisanales congolaises et spiritualités
béninoises. Le dialogue engagé à travers cette résidence semble appelé à se
prolonger dans le temps, dans l’espace… et dans les esprits. Sous l’égide de
Laboratorio Arts Contemporains et grâce au soutien du fonds Aide aux opérateurs
culturels africains (Aoca) de l’Institut français, Tankila a, du 1er au 6
juillet, mené à bien une création conçue comme un espace de résonance entre les
traditions du Bénin et les dynamiques créatives du Congo.