La Nation Bénin...
En
rupture avec les modèles dominants, le continent africain s’organise pour
évaluer lui-même sa crédibilité financière. Une dynamique de souveraineté qui
prend de l’ampleur et annonce un tournant dans l’architecture financière
mondiale.
Le
vent du changement souffle sur la finance en Afrique. Longtemps soumise aux
notations de crédit de grandes agences occidentales, souvent critiquées pour
leurs biais et leur méconnaissance des contextes locaux, l’Afrique veut
désormais écrire elle-même son récit économique. En février dernier, lors du 38ᵉ
sommet de l’Union africaine tenu à Addis-Abeba, les chefs d’État et de
gouvernement ont franchi une étape décisive. Le lancement d’une agence de
notation financière africaine a été officiellement annoncé pour le deuxième
semestre de l’année 2025. Cette décision majeure s’inscrit dans une dynamique
plus large de réappropriation des outils de gouvernance économique, car le
constat est aujourd’hui largement partagé sur le continent que le système
actuel de notation parait injuste. Il pénalise les pays africains avec des
notes souvent inférieures à leur réalité économique, gonflant artificiellement
les primes de risque, renchérissant les coûts d’emprunt et freinant l’accès aux
financements internationaux. Depuis lors, les discours se multiplient avec des
propositions et les réunions s’enchainent pour concrétiser cette vision. Lors
d’une réunion de haut niveau tenue le 23 avril à Washington, Claver Gatete,
secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations
Unies a défendu la mise en place d’un écosystème africain de notation crédible,
capable de libérer les potentiels économiques du continent. A l’en croire, le
diagnostic est sans appel. «Pourquoi sur un continent de 54 nations, avec un
Pib combiné de 3 000 milliards de dollars Us et des économies parmi les plus
dynamiques du monde, seuls deux pays, le Botswana et l’Île Maurice bénéficient
d’une notation de crédit de qualité ? », s’est-il interrogé. Une anomalie pour
une région considérée comme l’une des plus dynamiques du monde en termes de
croissance, de démographie et d’innovation. Pire encore, certains États
africains ont dû consentir jusqu’à 14 % d’intérêts sur les euro-obligations ces
dernières années, contre 3 % en moyenne pour les pays de la zone euro ou le
Vietnam. Le futur écosystème africain de notation de crédit vise donc à
corriger ces distorsions structurelles en proposant une lecture plus juste,
plus complète et surtout plus enracinée dans les réalités du continent. Il ne
s’agit pas simplement de créer une nouvelle agence pour faire contrepoids aux
géants mondiaux, mais de poser les fondements d’un modèle alternatif de
gouvernance financière, avec ses propres critères, ses sources de données et
son calendrier.
Axes d’action
Claver
Gatete a proposé à cette réunion, cinq axes d’action pour structurer cette
ambition. Il s’agit de créer une agence africaine crédible, capable de refléter
les réalités régionales tout en étant reconnue à l’échelle internationale ; de
renforcer les capacités statistiques en dotant les institutions nationales et
régionales d’outils adaptés pour produire des données fiables et
contextualisées ; d’adopter une régulation claire et prévisible, inspirée des
meilleures pratiques internationales ; de favoriser une collaboration
intersectorielle entre les États, les investisseurs, les régulateurs et les
partenaires techniques ; et enfin, de former une nouvelle génération d’experts
africains en notation de crédit, capables de mener des évaluations rigoureuses
alignées sur les priorités du développement durable du continent.
Cette
réforme structurelle est tout sauf anecdotique, car derrière les notations, ce
sont des milliards de dollars de financements potentiels qui se jouent. Des
projets d’infrastructures, de santé, d’éducation ou de transition écologique
sont aujourd’hui retardés ou abandonnés faute de financement à des conditions
soutenables. Avec un système de notation plus juste, l’Afrique pourrait
mobiliser davantage de capitaux privés à long terme et attirer plus
d’investissements directs étrangers, indispensables à la transformation
structurelle de ses économies. Le calendrier est d’autant plus favorable que
l’Afrique bénéficie désormais d’un siège permanent au G20, grâce à l’Union
africaine. Cette reconnaissance politique internationale ouvre la voie à un
plaidoyer africain renforcé pour une réforme de l’architecture financière
mondiale.
Cette transition vers un système africain ne se fera pas sans résistance. Les grandes agences de notation Moody’s, S&P, Fitch défendront leurs positions. Il faudra donc établir la crédibilité du modèle africain, convaincre les investisseurs internationaux et surtout démontrer que l’Afrique est capable d’offrir une lecture prospective, rigoureuse et responsable de ses risques économiques. Le lancement de cette agence de notation africaine représente ainsi bien plus qu’un outil technique. C’est un acte de souveraineté, un signal fort envoyé au reste du monde. L’Afrique ne veut plus être observée de l’extérieur. Elle veut désormais se juger à l’aune de ses propres critères, de ses aspirations et de ses défis.