La Nation Bénin...
Comment le système international régule les relations
mondiales notamment les conflits au Proche et Moyen-Orient (Pmo) ? Est-il
autant neutre au regard du recours différencié au droit international, de la
logique des sanctions ou encore des mécanismes de justice globale ?
Le système international entendu comme l’ensemble des
institutions, des normes et des acteurs (États, organisations internationales,
grandes puissances) qui organisent les relations mondiales, n’est pas un cadre
neutre ou simplement régulateur des conflits au Proche et Moyen-Orient (Pmo).
Il constitue lui-même un acteur, voire structurant à
travers ses carences, dans la dynamique des violences et des impasses
régionales.
À travers l’action (ou l’inaction) du Conseil de sécurité
des Nations unies, le recours différencié au droit international, la logique
des sanctions, ou encore les mécanismes de justice globale, cette réflexion
propose une lecture critique du fonctionnement asymétrique de l’ordre
international face aux crises du Pmo. Il s’agit de montrer comment ce système
reproduit, parfois malgré lui, une hiérarchie des souffrances et des
souverainetés.
Le Proche et Moyen-Orient (Pmo), longtemps appréhendé
comme une "zone de crises", est aujourd’hui de plus en plus perçu
comme un espace central de recomposition des normes, des formes de pouvoir et
des dynamiques transnationales.
La lecture des dynamiques internationales à l’œuvre dans
le Proche et Moyen-Orient révèle un paradoxe fondamental : la région est à la
fois marginalisée dans la gouvernance globale et surdéterminée par les logiques
internationales. Elle constitue un espace où se rejouent et se réinventent les
tensions systémiques du monde contemporain : déclin du multilatéralisme,
instrumentalisation du droit, retour des empires, fragmentation du politique,
et mutations des formes de guerre.
Loin d’être marginal ou périphérique, Le Pmo constitue
une matrice critique du nouvel ordre international, à travers l’émergence de
tendances qui s’y manifestent de façon exacerbée, mais annonciatrice de
transformations systémiques à l’échelle globale.
Cette lecture suppose de déplacer le regard du Pmo comme
anomalie vers le Pmo comme prisme.
Ce développement explore quatre dynamiques majeures :
Fin de l’universalité juridique
L’un des fondements du système international hérité de
1945 est le principe d’universalité du droit, incarné notamment par la Charte
des Nations unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme, et les
juridictions internationales.
Or, le Pmo est le théâtre d’une remise en cause profonde
de ce principe :
- D’une part, l’application sélective du droit
international humanitaire, comme l’illustre l’impunité persistante d’Israël
dans la gestion du conflit israélo-palestinien malgré les nombreuses
résolutions de l’Onu ou les avis de la Cij, affaiblit la croyance en une norme
universelle.
- D’autre part, les interventions étrangères sans mandat
(Irak 2003, Libye 2011) ou la reconnaissance unilatérale de territoires
(Jérusalem, Golan) manifestent une gouvernance fondée sur des rapports de
forces plutôt que sur le droit.
Cela entraîne une fragmentation juridique où les
puissances invoquent les principes universels de manière opportuniste,
provoquant une crise de légitimité du droit international dans le Sud global.
Le Pmo devient ainsi un laboratoire de l’érosion
normative, révélant les contradictions internes à l’ordre juridique
international.
"Il ne suffit pas d’affirmer l’universalité du droit : encore faut-il la pratiquer de manière cohérente pour éviter son instrumentalisation." (R. Falk)
Militarisation des relations internationales
Le Pmo est l’un des espaces les plus densément
militarisés au monde : bases étrangères (américaine, française, russe, turque),
trafic d’armes, drones, milices, sanctuarisation des territoires.
Cette militarisation dépasse les conflits classiques et
s’inscrit dans une nouvelle logique géopolitique globale, où la guerre devient
un mode de régulation des rivalités stratégiques.
Les interventions militaires y sont utilisées comme
substitut à la diplomatie (ex. frappes préventives israéliennes, opérations
turques au nord de la Syrie, soutien militaire iranien ou saoudien par groupes
interposés).
Le droit de la guerre est systématiquement contourné par
le recours à des conflits hybrides, à la guerre par procuration ou à la
"guerre cognitive".
Cette logique est ensuite exportée : les modèles de
contrôle technologique (cybersécurité, reconnaissance faciale, surveillance par
drone) expérimentés dans le Pmo sont repris ailleurs, illustrant la
mondialisation des formes de guerre asymétrique.
Le Pmo devient ainsi un laboratoire de la sécurité
globale, souvent au détriment des droits fondamentaux.
"Le Moyen-Orient, c’est l’avenir de la guerre en temps réel : technologique, asymétrique, sans fin." (O. Roy)
Crise des formes étatiques héritées
Les États du Pmo sont issus d’une double matrice : la
décolonisation et l’ingénierie impériale des frontières. La plupart sont
caractérisés par des États-nations faibles, souvent capturés par des élites
militaires, confessionnelles ou tribales. Leur légitimité repose sur la
coercition, la rente ou le clientélisme plus que sur une souveraineté
démocratique.
Depuis 2011, une série de soulèvements a révélé la crise
existentielle de l’État postcolonial: effondrement (Libye, Syrie, Yémen),
répression (Égypte, Iran), blocage institutionnel (Liban, Irak). Les
institutions formelles (Constitution, Parlement, Justice) sont souvent vidées
de leur substance. Le modèle westphalien d’État souverain est remis en cause,
tant par des acteurs transétatiques (milices, Ong, diasporas) que par les
sociétés elles-mêmes qui réclament une refondation du contrat social.
Cette remise en cause du modèle étatique ne concerne pas
seulement le Pmo. Elle s’inscrit dans une tendance globale où la souveraineté
nationale est de moins en moins synonyme d’autonomie, et où les États se
fragmentent ou se rétractent face à des flux transnationaux (migrations,
capitaux, idéologies).
"Ce n’est pas la fin de l’État, mais la fin d’un certain type d’État : centralisé, uniforme, légitime par défaut." (B. Badie)
Montée des contestations transnationales
En réponse à ces transformations, le Pmo est également un
espace de production d’alternatives transnationales.
Des mouvements féministes, écologistes, diasporiques,
palestiniens ou kurdes articulent des luttes ancrées localement mais connectées
globalement.
Les mobilisations de Beyrouth (2019), Bagdad, Téhéran,
Gaza ou Khartoum sont structurées par des récits partagés, des formes de
solidarité numérique, et une critique commune de l’ordre néocolonial et
patriarcal.
Ces contestations s’opposent non seulement aux régimes en
place, mais aussi aux puissances extérieures, aux institutions internationales
discréditées, et aux normes héritées de la guerre froide. Le Pmo devient ainsi
une plateforme d’énonciation d’un droit alternatif, où les subalternes (femmes,
minorités, exilés, militants) réinventent la justice, la mémoire et la
souveraineté.
"Là où les institutions s’effondrent, les corps en
lutte deviennent les nouveaux sujets de l’histoire." (A. Bayat)
Conclusion
Le Proche et Moyen-Orient, loin d’être un terrain
d’exception, incarne les mutations fondamentales du système international :
affaiblissement des normes, privatisation de la violence, crise des formes
étatiques et émergence de contre-mondes militants. À ce titre, il constitue
bien une matrice du nouvel ordre mondial, non pas au sens de modèle, mais au
sens d’espace d’accélération, d’expérimentation et de dévoilement des
contradictions du système hérité.
Penser le Pmo comme matrice implique de déplacer
l’analyse géopolitique vers une lecture critique, fondée sur les asymétries,
les résistances et les subjectivités politiques invisibilisées.
Il s’agit ainsi de reconnaître que le futur de l’ordre
mondial se joue aussi et peut-être surtout dans ses marges.
Le Pmo n’est plus une simple région "en crise"
: il est devenu un prisme structurant pour comprendre l’état du monde, ses
mutations profondes et ses impasses systémiques. Il révèle à la fois :
• le déclin du monde d’après 1945 fondé sur la
souveraineté, le multilatéralisme et la dissuasion,
• et la montée d’un monde incertain, fait de réseaux, de
puissances fragmentées, d’ordres parallèles et de normativités concurrentes.
Pour repenser la paix et la gouvernance dans cette région et au-delà il faudra refonder le système international à partir de ses périphéries, en intégrant les sociétés exclues, les récits dévalorisés, et les formes de conflictualité non reconnues. Le Pmo ne peut plus être pensé contre le monde, mais comme une matrice pour un monde à repenser.