La Nation Bénin...

Grands moments de retrouvailles et d’émotions, vendredi 23 août dernier, sur la plage de la place du Non-retour à Ouidah. Des descendants de personnes déportées lors de la traite négrière, venus de plus d’une vingtaine de pays, ont saisi l’occasion de la célébration de la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition (Jistna) pour se recueillir devant la mémoire de leurs ancêtres et se connecter à nouveau à leurs frères africains.
Drapeau martiniquais fièrement tenu, Garcin Malsa, maire honoraire de Sainte Anne en Martinique et président du Mouvement international pour les réparations (Mir) fait des allers-retours sur la plage de la place du Non-retour. Malgré son âge avancé, ce descendant d’esclave scrute le point de départ de ses ancêtres vers les terres connues. Comme lui, bien d’autres personnes sur la plage font le même exercice, mais pas pour longtemps. Certains s’effondrent. D’autres sont inconsolables. Des sanglots fusent de toutes parts. Grand moment d’émotion sur cette plage, point de départ des bateaux négriers qui embarquaient, une fois les esclaves acheminés, vers l’autre bout du monde.
Ce vendredi, à l’occasion de la célébration du 23 août, Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition (Jistna), le Bénin a décidé de faire un pas de géant pour la réconciliation avec « les frères de l’autre bout » du monde. « Gloire à nos ancêtres africains, rendus esclaves dans les Amériques pendant quatre siècles », lance, poing fièrement levé, Garcin Malsa. Fier, il l’est tout autant que des Africains réduits en esclavage (Afres) « qui ont su dire aux peuples du monde qu’ils sont des êtres vivants comme tout autre et ont su braver tous ceux qui étaient des obstacles à leur liberté ». Ceux qu’on vendait aux enchères ont montré au monde que l’humanisme est fondamentalement africain, poursuit le maire honoraire de Sainte Anne en Martinique, venu comme bien d’autres sur les traces de son ascendance. « Nous sommes venus ici sur le chemin de la réparation, nous avons retrouvé la reconnexion avec nos frères et nos sœurs qui avaient été déconnectés de nous par le viol et le vol. Nous vivons avec vous un moment extraordinaire », s’extasie le vieil homme soutenu par une salve d’applaudissements sur cette plage bien ensoleillée.
Rendre hommage ! C’est bien le mot principal du message délivré à l’occasion par le président du comité de commémoration du 23 août, Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition (Jistna), Christophe Chodaton. « Nous sommes ici pour rendre hommage ensemble à nos aïeuls capturés, déportés et mis en esclavage », explique-t-il. « Ils étaient douze millions et nous devons nous souvenir ensemble de leurs luttes quotidiennes et de la grande révolte du 23 août 1791 qui aboutira à l’abolition de la traite négrière et de l’esclavage », implore-t-il ensuite. Pour lui, le Bénin a un devoir de mémoire vis-à-vis des descendants de personnes déportées et il est aussi important de sensibiliser les Béninois sur l’ampleur de cette tragédie. « Nous essayons de faire institutionnaliser cette Journée. Nous ne vous oublierons jamais. Nous perpétuerons en votre nom les enseignements de cette tragédie et les valeurs qu’elle porte », conclut-il, un peu comme pour rassurer, au-delà des mers et de la terre, l’âme de ces millions de personnes contraintes à l’esclavage à une certaine époque.
Envisager ensemble l’avenir
L’un des messages forts de cette célébration, qui sonnait à la fois comme un témoignage et un appel a été celui de Fréderic Régent, président du comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage en France. Si son émotion est encore plus grande sur cette place et sur cette plage, c’est surtout parce que sur l’acte de décès de son arrière grand-mère, il est clairement inscrit « descendante de parents africains inconnus ». Il faut donc, selon lui, une « exigence d’émancipation collective » pour honorer « ces personnes embarquées avec la brutalité la plus extrême » sur les bateaux négriers. Fréderic Régent insiste pour dire que les routes de l’esclavage furent nombreuses et conduisirent ces esclaves, victimes des traitements les plus inhumains vers diverses destinations pour produire du tabac, du café, du cacao destinés à la consommation pour assouvir les désirs de puissance de leurs maîtres et la recherche de profit des élites et le désir des monarques.
« Je suis content que nous soyons ensemble aujourd’hui, venus d’Afrique, d’Amérique, d’Asie, d’Europe, des deux rives de l’Atlantique pour nous souvenir ensemble et envisager ensemble l’avenir qui doit passer par la connaissance du passé, l’enseignement, la recherche, la préservation du patrimoine lié à cette histoire dramatique et la création de lieux de mémoire et d’échanges », laisse-t-il entendre dans son témoignage. Le plus important pour lui, c’est de faire en sorte que le projet d’établir un mémorial avec le nom de ceux qui ont été déportés puisse voir le jour. « Nous défendrons nos mémoires, nos patrimoines, issus de cet héritage douloureux. Nous ne nous rendrons pas complices actifs ou passifs », s’est engagé pour finir Fréderic Régent.
Jimmy Gardner, maire de Prichard en Alabama, tient un discours similaire. S’il se réjouit « d’être chez lui avec sa famille », il insiste aussi pour dire que « nous ne devons pas oublier d’où nous devons et savoir ce qu’il faut apporter aux générations futures ». Pour lui, le plus grand défi est celui des 400 prochaines années où il faudra mener des luttes importantes, car « ces journées de mémoire ne doivent jamais être effacées de l’histoire ». Des messages, il y en a eu également de la part du maire de la ville de Ouidah, Célestine Adjanohoun, et du représentant de l’Unesco, Ydo Yao. Au nom du gouvernement béninois, le directeur de cabinet du ministre en charge du Tourisme, Ernest Sossou, rappelle « un devoir de mémoire nécessaire » et un hommage à tous ceux qui ont contribué à l’abolition de l’esclavage, contribuant ainsi à une féconde réflexion pour en cerner les conséquences.