La Nation Bénin...

Le néolibéralisme: Les rôles de l’Etat, du marché et de la société civile

Société
Albert N’lédji HONLONKOU Albert N’lédji HONLONKOU

Nous sommes tous des libéraux depuis que le libéralisme économique s’est imposé dans les années quatre-vingt-dix comme la seule voie de développement. En ce qui concerne le domaine économique, il semble ne pas avoir d’exception quand les leaders socialistes ou communistes se sont rendus un à un au libéralisme économique : l’Urss ou ce qu’il en reste la Russie, la Chine, etc.

Par   Albert N’lédji HONLONKOU*, le 29 août 2023 à 05h31 Durée 4 min.
#Albert N’lédji HONLONKOU
Le libéralisme est la doctrine selon laquelle la liberté économique, le libre jeu de l’entreprise ne doivent pas être entravés. Cette doctrine soutient que la liberté d’échange, la libre concurrence, la liberté d’entreprendre, la souveraineté du consommateur sont nécessaires pour assurer le bien-être individuel et collectif et que le rôle de l’État doit demeurer régalien. On pense que les droits de propriété privée et la libre concurrence forcent les entreprises à innover et à offrir aux ménages des biens et des services à prix abordables ; ce qui va permettre à ces ménages, surtout les plus démunis et les classes moyennes d’améliorer leur pouvoir d’achat. À côté du marché qui utilise comme instruments la libre concurrence et la recherche de profit, l’État utilise la coercition, les incitations et le partenariat ; et la société civile utilise la coopération.
Le Prix Nobel d’Économie Jean Tirole, dans son livre « L’économie du Bien Commun » raconte que Jean-Jacques Laffont, l’un des plus grands économistes français de la seconde moitié du vingtième siècle indiquait dans un rapport sur les étapes vers un état moderne, présenté devant le Conseil d’Analyse Economique français, que les hommes politiques et les hauts fonctionnaires réagissent aux incitations auxquelles ils sont confrontés, tout comme les chefs d’entreprise, les salariés, les chômeurs, les intellectuels, ou les économistes ; et que la conception de l’Etat devrait en tenir compte. 
Certes, Jean-Jacques Laffont savait très bien que de nombreux hommes et femmes politiques commencent leur carrière de façon idéaliste, soucieux de l’intérêt général et cherchant à rendre le monde meilleur, et que la condamnation de la classe politique est un acte dangereux pour la démocratie qu’il faut laisser aux populistes et aux démagogues. Mais la possibilité que l’Etat soit capturé par des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt collectif a été de façon constante le fondement de la réflexion politique. À cela, il faut ajouter que l’État a une capacité administrative limitée, peut être mal informé, corrompu, clientéliste et générateur d’incitations perverses qui l’éloignent de sa fonction de planificateur social bienveillant et soucieux de l’intérêt général.
La version actuelle du libéralisme (le libéralisme néoclassique par opposition au libéralisme classique) approuve l’efficacité limitée de l’État, mais reconnait les défaillances du marché en présence de coûts de transaction élevés. C’est ce qui arrive dans les contextes où il existe un pouvoir de marché important (monopole) où les prix sont élevés pour une quantité produite limitée ; en présence des biens publics dont les consommateurs veulent profiter tout en refusant le financement ; en présence d’externalités négatives ou positives où la surproduction ou la sous-production sont liées au fait que les victimes ou les bénéficiaires ne disposent pas de droits de propriété bien définis pour exiger ou bénéficier de compensation ; en présence de l’imperfection de l’information où ceux qui sont plus informés ont tendance à tirer des rentes du marché aux dépens de ceux qui sont moins informés ; en présence de situations où l’acheteur est sa propre victime (consommation de drogues, de cigarettes, absence d’assurance retraite) ; et en présence de situations où les lois du marché conduisent à l’iniquité moralement insupportable et source de dysfonctionnements sociaux (insécurité, intolérance, insalubrité et terrorisme).
Il faut donc comprendre que le marché et l’État, au lieu de se poser comme des alternatives, sont plutôt dépendants. Le marché a besoin de l’Etat pour protéger la liberté d’entreprendre, les contrats et pour corriger les défaillances du marché. L’État ne peut vivre sans le marché. La clé de voûte d’un État moderne est que les acteurs soient responsabilisés en étant informés pour tenir compte du coût social de leur choix. L’État responsabilise les acteurs économiques et est responsable de la solidarité. Un État défaillant ne peut conduire à l’efficacité du marché.
Lorsqu’une économie préalablement dominée par la fourniture publique des biens et services se rend au libéralisme, les citoyens qui ne sont pas toujours informés des pertes d’efficience dues à la nature commune des entreprises, crient souvent au bradage des biens publics. Il convient donc d’être transparent dans le transfert de la gestion ou de la propriété des actifs au privé afin d’éviter les malentendus et/ou la capture de l’État. L’implication des citoyens dans le processus est un gage de sa réussite, car on établit ainsi les bases de l’adhésion et de la compréhension publique, de la mobilisation de l’expertise et des conditions d’équité et de justice sociale.
On peut penser que face aux défaillances de l’État et du marché, la société civile est la voie idéale pour assurer le développement. Malheureusement, la société civile a également ses défaillances telles que le manque de transparence dans la prise de décision, l’abus de pouvoir par les anciens et les élites locales, et les problèmes de coopération liés au dilemme social inhérent à la gestion des biens communs.
Compte tenu des faiblesses des trois institutions (Etat, marché, Société civile), Il revient à l’État de faire des réformes pour assurer une meilleure coordination des complémentarités entre ces trois acteurs incontournables du développement. Mais réformer n’est pas aisé. Les réformes peuvent être plombées par les défaillances de l’État lui-même. C’est pourquoi avant toute réforme, l’État doit prendre le temps de la réflexion pour concevoir un plan de réformes, une stratégie de communication, un calendrier de réformes, mettre en place des solutions transitoires afin d’atténuer les coûts sociaux des réformes, cibler des pauvres pour des mesures ¦

*Professeur d’Economie, ENEAM/Université d’Abomey-Calavi