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Me Alexandrine Saïzonou-Bédié sur les Dssr: « La détention ne doit rien enlever à la féminité »

Société
Me Alexandrine Saïzonou-Bédié Me Alexandrine Saïzonou-Bédié

Les droits sexuels et reproductifs de la femme doivent être préservés même dans les maisons carcérales. Plusieurs instruments nationaux, régionaux et internationaux le stipulent. Alexandrine Saïzonou-Bédié, avocate au barreau du Bénin, présidente de la sous-commission ‘’ Enfants, apatridie, réfugiés et personnes déplacées’’ à la Commission béninoise des droits de l’Homme (Cbdh), présente ces dispositions et relève la passivité des femmes à revendiquer leurs droits.

Par   Maryse ASSOGBADJO, le 05 oct. 2023 à 02h35 Durée 10 min.
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La Nation : La santé sexuelle et reproductive des femmes est un droit. Les femmes en détention au Bénin peuvent-elles aussi le revendiquer ?

 

Me Alexandrine Saïzonou-Bédié: Avant de répondre à votre question, je voudrais rappeler les principes généraux qui garantissent aux femmes le droit à la santé sexuelle et reproductive. Selon l’Organisation des Nations Unies, « une bonne santé sexuelle et reproductive est un état de bien-être total sur le plan physique, mental et social, relativement à tous les aspects du système reproductif permettant aux personnes qui sont en mesure de profiter d’une vie sexuelle satisfaisante et sûre et ont la capacité de procréer et de décider si elles désirent le faire ou non, ainsi que quand et comment ».

L’accès à la santé sexuelle et reproductive est un droit fondamental pour tout être humain, sans aucune forme de discrimination et de distinction tel que le précise l’article 2e de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme, « chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés…sans distinction aucune, notamment de race, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ». Bien que cet article ne dispose pas expressément sur la santé sexuelle et reproductive, il pose un principe général relativement aux droits humains dont le droit à la santé sexuelle et reproductive.

Le droit à la santé sexuelle et reproductive est consacré par tous les instruments juridiques, aussi bien internationaux, régionaux que nationaux. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes en son article 16 garantit aux femmes les mêmes droits que les hommes et la non-discrimination. Ainsi, les femmes ont le droit de « décider librement et en toute connaissance de cause du nombre et de l’espacement des naissances et d’avoir accès aux informations, à l’éducation et aux moyens nécessaires pour leur permettre d’exercer ces droits ». En outre, l’article 10 de ladite Convention précise également que le droit des femmes à l’éducation comprend « l’accès à des renseignements spécifiques d’ordre éducatif tendant à assurer la santé et le bien-être des familles, y compris l’information et des conseils relatifs à la planification de la famille ».

Qu'en est-il des divers instruments internationnaux et régionaux ?

 

La recommandation générale n°24 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes recommande aux États d’accorder la priorité à la « prévention des grossesses non désirées, par la planification familiale et l’éducation sexuelle ».

Dans son observation générale n°14, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a rappelé que la prestation de services de santé maternelle était assimilable à une obligation fondamentale à laquelle il ne pouvait être dérogé dans aucune circonstance, et que les États-parties ont l’obligation immédiate de prendre des mesures mûrement réfléchies, concrètes et ciblées pour mettre en œuvre le droit à la santé dans le domaine de la grossesse et de l’accouchement.

L’observation générale n°22 du même comité recommande que les États « abrogent ou suppriment les lois, les politiques et les pratiques qui incriminent, entravent ou compromettent l’accès des individus ou de certains groupes aux ressources, aux services, aux biens et à l’information de santé sexuelle et procréative ».

La Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples est un instrument juridique de référence en termes de droits humains en Afrique. La Charte s’est contentée d’établir des principes généraux en matière de droits de l’Homme. C’est pourquoi, les chefs d’État se sont réunis pour adopter le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes, plus connu sous le nom de Protocole de Maputo.

Ainsi, l’article 14 du protocole intitulé « le droit à la santé et aux fonctions reproductives » invite les États à respecter davantage le droit à la santé sexuelle et reproductive qui comprend le droit à décider de sa fécondité, le droit de choisir librement d’avoir le nombre d’enfants souhaité et le droit d’avoir accès aux méthodes contraceptives de son choix et également d’avoir l’information sur la planification familiale. Ce même article invite les États à prendre toutes les mesures appropriées pour assurer l’accès aux services de santé adéquats, à coûts abordables et à distances raisonnables, y compris les programmes d’information, d’éducation et de communication pour les femmes, en particulier celles vivant en milieu rural. Il recommande la fourniture aux femmes des services pré et postnataux et nutritionnels pendant la grossesse et la période d’allaitement et l’amélioration des services existants ; de la protection des droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé, en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus.

Quel sort le Bénin a-t-il réservé à ces intruments ?

 

Le Bénin, ayant ratifié tous ces instruments internationaux et régionaux, a légiféré sur la question de la santé sexuelle et reproductive de la femme.  Ainsi, ont été prises la loi n°2003-04 du 03 mars 2003 relative à la santé sexuelle et la reproduction et la loi n°2021-12 du 20 décembre 2021 modifiant et complétant la loi de 2003-04 du 03 mars 2003 relativement à la santé sexuelle et à la reproduction. Ces deux textes viennent définir le cadre juridique en matière de santé sexuelle et reproductive. Ces dispositions reprennent essentiellement celles des textes internationaux et régionaux, mais de plus, elles précisent les structures de santé de la reproduction, et définissent les contours de la contraception, de l’interruption volontaire de grossesse.

Pour ce qui concerne la situation particulière des femmes en détention, les règles Mandela définissent les dispositions minima des Nations Unies pour le traitement des détenus. Elles stipulent en leurs articles 1er et 2e que l’individu incarcéré ou détenu conserve son statut humain et ses droits sociaux. Ainsi, « tous les détenus sont traités avec le respect dû à la dignité et à la valeur inhérentes, etc. ».

On retiendra aussi de l’article 24 des dispositions minima des Nations Unies pour le traitement des détenus que « l’État a la responsabilité d’assurer des soins de santé aux détenus, ceux-ci devant recevoir des soins de même qualité que ceux disponibles dans la société et avoir accès aux services nécessaires sans frais et sans discrimination fondée sur leur statut juridique ».

Après la présentation détaillée du cadre juridique, j’aimerais répondre à la question posée à savoir tous les êtres humains,  hommes comme femmes, sont-ils égaux en ce qui concerne l’accès aux soins ou quelque autre droit. Les principes d’égalité, de non-discrimination, d’interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants, sont des droits inhérents à la personne humaine, notamment le droit à la santé sexuelle et à la reproduction.

Ainsi, les femmes privées de liberté ont droit au respect de leurs droits. La privation de liberté ne constitue pas un motif de perte des droits inhérents à la personne humaine, ceux-ci perdurent tout le long de la vie d’une personne. Ces droits sont garantis en tout temps et en tout lieu.

Ainsi, les femmes en détention restent des êtres humains et bénéficient par conséquent du droit à la santé sexuelle et peuvent le revendiquer, c’est d’ailleurs une obligation pour l’État de le leur garantir. Les femmes détenues ont droit à une vie sexuelle et par conséquent à la santé sexuelle et à la reproduction.

Leur incarcération ne doit rien enlever à leur féminité. 

Les discours et actions visant à promouvoir les méthodes contraceptives sont souvent peu orientés vers cette cible. Qu’est-ce qui explique cet état de choses ?

 

A mon avis, les femmes ne sont pas suffisamment associées aux actions et initiatives déployées en leur faveur. Nous devons aussi intégrer que la question de la santé sexuelle et reproductive a été longtemps un sujet tabou dans notre société. A titre d’illustration, rappelons-nous la vague d’émotion suscitée par la loi sur la santé sexuelle et de la reproduction. Par ailleurs, on peut retenir également la passivité des femmes à revendiquer leurs droits.

La population béninoise est une société majoritairement traditionnaliste et attachée à des idéologies et des concepts patriarcaux relatifs au rôle des femmes au sein de la famille. Dans ce contexte, bien que les femmes juridiquement aient le droit de disposer de leurs corps comme elles l’entendent, en réalité, ce droit leur est refusé malgré l’existence des textes. 

Le rapport de la Commission béninoise des droits de l’Homme 2020-2021 semble un peu laconique sur cette préoccupation. Le sujet n’a-t-il pas suffisamment d’intérêt pour notre pays ?

 

Le sujet est d’un intérêt important pour le Bénin. L’accès à des services de santé reproductive de qualité, y compris à des soins obstétriques d’urgence appropriés, peut considérablement réduire le nombre de femmes qui meurent pendant ou après les accouchements et garantir une vie saine aux mères et à leurs enfants. L’éducation à la santé reproductive pour les adultes et les jeunes est également importante, car elle contribue à les sensibiliser notamment à la santé maternelle, au planning familial, aux conséquences de la violence sexuelle, aux mutilations génitales féminines, aux maladies sexuellement transmissibles et à la lutte contre le Vih. En gros, l’intérêt pour notre pays réside dans le bien-être de notre population et la Commission béninoise des droits de l’Homme en est consciente et œuvre au respect de ce droit.

Lorsqu’on sait que le milieu carcéral est exposé à toutes sortes d’infections, quelles actions pourrait-on envisager en matière de santé sexuelle en faveur des femmes détenues pour prévenir d’éventuels risques ?

 

La question de l’hygiène menstruelle et sexuelle des femmes détenues et même les conditions de leur incarcération nous interpellent. Selon un rapport de Unodc (United Nations Office on Drugs and Crime) en partenariat avec l’Organisation mondiale de la santé, il faut « mettre davantage l’accent sur les alternatives à l’incarcération et consentir beaucoup plus d’efforts pour évaluer et gérer les femmes sur leur lieu de résidence, plutôt que dans un établissement de détention, surtout si elles ont commis une infraction sans violence ou relativement mineure ».

Idéalement « Par exemple, on recourt déjà à des démarches relevant de la justice réparatrice, comme les conférences de groupe familial et les cercles de sentence. La justice réparatrice a été définie comme le recours à un processus de réparation au cours duquel la victime et l’auteur d’une infraction et, lorsque cela est indiqué, toute autre personne ou membre de la société affectée par une infraction pénale, participent activement ensemble à la résolution des problèmes découlant de cette infraction, généralement avec l’aide d’un conseiller [formé à cet effet] (Conseil économique et social des Nations Unies, 2002) ».

Il faut appliquer les mesures alternatives à l’emprisonnement et désengorger nos prisons. Il faudra également respecter les principes des règles Nelson Mandela plus précisément en ce qui concerne l’hygiène personnelle (règle 18), les services de santé (règles 24 à 35) en garantissant l’existence de services de santé dans les prisons, mais également en leur garantissant l’accès aux méthodes contraceptives. Il est également impérieux de définir une frontière entre les convictions personnelles et le devoir professionnel des travailleurs de la santé.

Qu’en est-il du respect du Protocole de Maputo et des Conventions régionales ?

 

Le protocole relatif aux droits des femmes en Afrique appelé Protocole de Maputo a contribué à promouvoir une approche centrée sur les droits dans les prestations des soins de santé génésique en reconnaissant la nécessité de respecter les droits sexuels et reproductifs des femmes et des jeunes filles. Il a également contribué à renforcer la formation et l’éducation des professionnels de la santé dans le domaine de la gynécologie et de l’obstétrique en mettant l’accent sur la nécessité de fournir des soins de santé adaptés aux besoins des patientes. Il a encouragé la sensibilisation et la promotion de la planification familiale en Afrique. De manière générale, le Protocole de Maputo et les Conventions régionales ont eu un impact de qualité sur notre approche du droit à la santé sexuelle et à la reproduction. Ils ont aidé à mettre en place un arsenal juridique pour protéger et garantir les droits des filles et femmes sur le territoire national.

Des lois et autres règlements ont été pris pour rendre effectifs les droits des femmes. Les principes consacrés par le protocole de Maputo sont repris par nos textes nationaux.

Le protocole de Maputo n’est pas assez connu par les praticiens eux-mêmes. Ce qui justifie qu’il est peu évoqué dans les décisions rendues. Il n’est pas assez respecté, mais je garde l’espoir qu’avec les sensibilisations, il sera de plus en plus pris en compte.