La Nation Bénin...
Les droits sexuels et reproductifs de la femme doivent être préservés même dans les maisons carcérales. Plusieurs instruments nationaux, régionaux et internationaux le stipulent. Alexandrine Saïzonou-Bédié, avocate au barreau du Bénin, présidente de la sous-commission ‘’ Enfants, apatridie, réfugiés et personnes déplacées’’ à la Commission béninoise des droits de l’Homme (Cbdh), présente ces dispositions et relève la passivité des femmes à revendiquer leurs droits.
La Nation : La santé sexuelle et reproductive des femmes est un droit. Les femmes en détention au Bénin peuvent-elles aussi le revendiquer ?
Me Alexandrine Saïzonou-Bédié: Avant de répondre à votre question, je voudrais rappeler les principes généraux qui garantissent aux femmes le droit à la santé sexuelle et reproductive. Selon l’Organisation des Nations Unies, « une bonne santé sexuelle et reproductive est un état de bien-être total sur le plan physique, mental et social, relativement à tous les aspects du système reproductif permettant aux personnes qui sont en mesure de profiter d’une vie sexuelle satisfaisante et sûre et ont la capacité de procréer et de décider si elles désirent le faire ou non, ainsi que quand et comment ».
L’accès à la santé sexuelle et reproductive est un droit
fondamental pour tout être humain, sans aucune forme de discrimination et de
distinction tel que le précise l’article 2e de la Déclaration Universelle des
droits de l’Homme, « chacun peut se prévaloir de tous les droits et de
toutes les libertés…sans distinction aucune, notamment de race, de langue, de
religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou
sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ». Bien que
cet article ne dispose pas expressément sur la santé sexuelle et reproductive,
il pose un principe général relativement aux droits humains dont le droit à la
santé sexuelle et reproductive.
Le droit à la santé sexuelle et reproductive est consacré
par tous les instruments juridiques, aussi bien internationaux, régionaux que
nationaux. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes en son article 16 garantit aux femmes les
mêmes droits que les hommes et la non-discrimination. Ainsi, les femmes ont le
droit de « décider librement et en toute connaissance de cause du nombre
et de l’espacement des naissances et d’avoir accès aux informations, à
l’éducation et aux moyens nécessaires pour leur permettre d’exercer ces droits
». En outre, l’article 10 de ladite Convention précise également que le droit
des femmes à l’éducation comprend « l’accès à des renseignements spécifiques
d’ordre éducatif tendant à assurer la santé et le bien-être des familles, y
compris l’information et des conseils relatifs à la planification de la
famille ».
Qu'en est-il des divers instruments internationnaux et
régionaux ?
La recommandation générale n°24 du Comité pour
l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes recommande aux États
d’accorder la priorité à la « prévention des grossesses non désirées, par
la planification familiale et l’éducation sexuelle ».
Dans son observation générale n°14, le Comité des droits
économiques, sociaux et culturels a rappelé que la prestation de services de
santé maternelle était assimilable à une obligation fondamentale à laquelle il
ne pouvait être dérogé dans aucune circonstance, et que les États-parties ont
l’obligation immédiate de prendre des mesures mûrement réfléchies, concrètes et
ciblées pour mettre en œuvre le droit à la santé dans le domaine de la
grossesse et de l’accouchement.
L’observation générale n°22 du même comité recommande que
les États « abrogent ou suppriment les lois, les politiques et les
pratiques qui incriminent, entravent ou compromettent l’accès des individus ou
de certains groupes aux ressources, aux services, aux biens et à l’information
de santé sexuelle et procréative ».
La Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples
est un instrument juridique de référence en termes de droits humains en
Afrique. La Charte s’est contentée d’établir des principes généraux en matière
de droits de l’Homme. C’est pourquoi, les chefs d’État se sont réunis pour
adopter le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples
relatif aux droits des femmes, plus connu sous le nom de Protocole de Maputo.
Quel sort le Bénin a-t-il réservé à ces intruments ?
Le Bénin, ayant ratifié tous ces instruments internationaux
et régionaux, a légiféré sur la question de la santé sexuelle et reproductive
de la femme. Ainsi, ont été prises la
loi n°2003-04 du 03 mars 2003 relative à la santé sexuelle et la reproduction
et la loi n°2021-12 du 20 décembre 2021 modifiant et complétant la loi de
2003-04 du 03 mars 2003 relativement à la santé sexuelle et à la reproduction.
Ces deux textes viennent définir le cadre juridique en matière de santé
sexuelle et reproductive. Ces dispositions reprennent essentiellement celles
des textes internationaux et régionaux, mais de plus, elles précisent les
structures de santé de la reproduction, et définissent les contours de la
contraception, de l’interruption volontaire de grossesse.
Pour ce qui concerne la situation particulière des femmes
en détention, les règles Mandela définissent les dispositions minima des
Nations Unies pour le traitement des détenus. Elles stipulent en leurs articles
1er et 2e que l’individu incarcéré ou détenu conserve son statut humain et ses
droits sociaux. Ainsi, « tous les détenus sont traités avec le respect dû
à la dignité et à la valeur inhérentes, etc. ».
On retiendra aussi de l’article 24 des dispositions minima
des Nations Unies pour le traitement des détenus que « l’État a la
responsabilité d’assurer des soins de santé aux détenus, ceux-ci devant
recevoir des soins de même qualité que ceux disponibles dans la société et
avoir accès aux services nécessaires sans frais et sans discrimination fondée
sur leur statut juridique ».
Après la présentation détaillée du cadre juridique,
j’aimerais répondre à la question posée à savoir tous les êtres humains, hommes comme femmes, sont-ils égaux en ce qui
concerne l’accès aux soins ou quelque autre droit. Les principes d’égalité, de
non-discrimination, d’interdiction des traitements cruels, inhumains ou
dégradants, sont des droits inhérents à la personne humaine, notamment le droit
à la santé sexuelle et à la reproduction.
Ainsi, les femmes privées de liberté ont droit au respect
de leurs droits. La privation de liberté ne constitue pas un motif de perte des
droits inhérents à la personne humaine, ceux-ci perdurent tout le long de la
vie d’une personne. Ces droits sont garantis en tout temps et en tout lieu.
Ainsi, les femmes en détention restent des êtres humains et
bénéficient par conséquent du droit à la santé sexuelle et peuvent le
revendiquer, c’est d’ailleurs une obligation pour l’État de le leur garantir.
Les femmes détenues ont droit à une vie sexuelle et par conséquent à la santé
sexuelle et à la reproduction.
Leur incarcération ne doit rien enlever à leur féminité.
Les discours et actions visant à promouvoir les méthodes
contraceptives sont souvent peu orientés vers cette cible. Qu’est-ce qui
explique cet état de choses ?
A mon avis, les femmes ne sont pas suffisamment associées
aux actions et initiatives déployées en leur faveur. Nous devons aussi intégrer
que la question de la santé sexuelle et reproductive a été longtemps un sujet
tabou dans notre société. A titre d’illustration, rappelons-nous la vague
d’émotion suscitée par la loi sur la santé sexuelle et de la reproduction. Par
ailleurs, on peut retenir également la passivité des femmes à revendiquer leurs
droits.
La population béninoise est une société majoritairement
traditionnaliste et attachée à des idéologies et des concepts patriarcaux
relatifs au rôle des femmes au sein de la famille. Dans ce contexte, bien que
les femmes juridiquement aient le droit de disposer de leurs corps comme elles
l’entendent, en réalité, ce droit leur est refusé malgré l’existence des
textes.
Le rapport de la Commission béninoise des droits de l’Homme
2020-2021 semble un peu laconique sur cette préoccupation. Le sujet n’a-t-il
pas suffisamment d’intérêt pour notre pays ?
Le sujet est d’un intérêt important pour le Bénin. L’accès
à des services de santé reproductive de qualité, y compris à des soins
obstétriques d’urgence appropriés, peut considérablement réduire le nombre de
femmes qui meurent pendant ou après les accouchements et garantir une vie saine
aux mères et à leurs enfants. L’éducation à la santé reproductive pour les
adultes et les jeunes est également importante, car elle contribue à les
sensibiliser notamment à la santé maternelle, au planning familial, aux
conséquences de la violence sexuelle, aux mutilations génitales féminines, aux
maladies sexuellement transmissibles et à la lutte contre le Vih. En gros,
l’intérêt pour notre pays réside dans le bien-être de notre population et la
Commission béninoise des droits de l’Homme en est consciente et œuvre au
respect de ce droit.
Lorsqu’on sait que le milieu carcéral est exposé à toutes
sortes d’infections, quelles actions pourrait-on envisager en matière de santé
sexuelle en faveur des femmes détenues pour prévenir d’éventuels risques ?
La question de l’hygiène menstruelle et sexuelle des femmes
détenues et même les conditions de leur incarcération nous interpellent. Selon
un rapport de Unodc (United Nations Office on Drugs and Crime) en partenariat
avec l’Organisation mondiale de la santé, il faut « mettre davantage
l’accent sur les alternatives à l’incarcération et consentir beaucoup plus
d’efforts pour évaluer et gérer les femmes sur leur lieu de résidence, plutôt
que dans un établissement de détention, surtout si elles ont commis une
infraction sans violence ou relativement mineure ».
Idéalement « Par exemple, on recourt déjà à des
démarches relevant de la justice réparatrice, comme les conférences de groupe
familial et les cercles de sentence. La justice réparatrice a été définie comme
le recours à un processus de réparation au cours duquel la victime et l’auteur
d’une infraction et, lorsque cela est indiqué, toute autre personne ou membre
de la société affectée par une infraction pénale, participent activement
ensemble à la résolution des problèmes découlant de cette infraction,
généralement avec l’aide d’un conseiller [formé à cet effet] (Conseil
économique et social des Nations Unies, 2002) ».
Il faut appliquer les mesures alternatives à
l’emprisonnement et désengorger nos prisons. Il faudra également respecter les
principes des règles Nelson Mandela plus précisément en ce qui concerne
l’hygiène personnelle (règle 18), les services de santé (règles 24 à 35) en
garantissant l’existence de services de santé dans les prisons, mais également
en leur garantissant l’accès aux méthodes contraceptives. Il est également
impérieux de définir une frontière entre les convictions personnelles et le
devoir professionnel des travailleurs de la santé.
Qu’en est-il du respect du Protocole de Maputo et des
Conventions régionales ?
Le protocole relatif aux droits des femmes en Afrique
appelé Protocole de Maputo a contribué à promouvoir une approche centrée sur
les droits dans les prestations des soins de santé génésique en reconnaissant
la nécessité de respecter les droits sexuels et reproductifs des femmes et des
jeunes filles. Il a également contribué à renforcer la formation et l’éducation
des professionnels de la santé dans le domaine de la gynécologie et de
l’obstétrique en mettant l’accent sur la nécessité de fournir des soins de
santé adaptés aux besoins des patientes. Il a encouragé la sensibilisation et
la promotion de la planification familiale en Afrique. De manière générale, le
Protocole de Maputo et les Conventions régionales ont eu un impact de qualité
sur notre approche du droit à la santé sexuelle et à la reproduction. Ils ont
aidé à mettre en place un arsenal juridique pour protéger et garantir les
droits des filles et femmes sur le territoire national.
Des lois et autres règlements ont été pris pour rendre
effectifs les droits des femmes. Les principes consacrés par le protocole de
Maputo sont repris par nos textes nationaux.
Le protocole de Maputo n’est pas assez connu par les
praticiens eux-mêmes. Ce qui justifie qu’il est peu évoqué dans les décisions
rendues. Il n’est pas assez respecté, mais je garde l’espoir qu’avec les
sensibilisations, il sera de plus en plus pris en compte.
Me Alexandrine Saïzonou-Bédié