La Nation Bénin...
Ce
vendredi 28 juin 2024 à l'Institut français de Cotonou, la Troupe permanente de
l'atelier nomade / Eitb représente Pacamambo de Wajdi Mouawad, mise en scène
par Judicaël Avaligbé.
Silence
! On bouge... !
Il faut voir Pacamambo à tout prix avec vos enfants en souvenir de votre enfance !
L'enfance, ce grand territoire d'où chacun est sorti ! Je suis de mon enfance. Je suis de mon enfance comme d'un pays, clame Antoine de Saint-Exupéry.
En littérature, depuis toujours, les adultes écrivains se substituent à l'enfant et parlent en ses lieu et place. Ils parlent d'une enfance dont ils ont le sentiment d'avoir été chassés, expulsés, d'où l'écriture des fictions nostalgiques et mélancoliques sur l'enfance, comme un paradis perdu.
A ce propos, j’aborde d'emblée les œuvres pionnières, œuvres de l'âge héroïque de l'émergence de la littérature pour enfant, le milieu du 19e siècle et du 20e siècle, 4 classiques mythiques.
Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll (1832-1898), Peter Pan de James Barrie (1860-1937), Le Petit Prince de Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944), et enfin, plus proche de nous géographiquement et temporellement, L'Ivrogne dans la brousse de Amos Tutuola (1920-1977), le premier roman d’Afrique noire écrit en anglais. Toutes ces œuvres romanesques sus-citées, mille fois adaptées au théâtre comme au cinéma, sont aujourd'hui mondialement connues même si l'africaine l'est moins. Alice au pays des merveilles est née d'un conte improvisé par Lewis Carroll aux trois petites filles Liddell, le 4 juillet 1862. Transcrit sous forme de récit, il est édité en 1865. Dans ce roman, Lewis Carroll fait vivre à Alice des aventures oniriques aussi instructives que fantaisistes. Entrant dans le terrier et tombant dans un trou qui ouvre la porte du pays des merveilles. Lewis Carroll agite l'émerveillement, l’illogique, l'intemporalité, l'absurde, le rêve.
Et voilà qu'un siècle environ après l'existence de Lewis Carroll surgit Wajdi Mouawad avec Pacamambo qui nous confronte à Julie, un personnage de notre époque qui nous apprend que l'émerveillement est le premier pas vers la connaissance et que le rêve désarticule nos perceptions, efface l'identité, alors que le recours aux choses réelles de ce monde conduit à la conscience intime du moi. Wajdi, lui, convoque sur scène la mort, une réalité existentielle tangible mais non sans poésie.
En effet, la petite fille Julie par amour n'accepte pas le décès de sa grand - mère et décide de rester auprès de son cadavre en se cachant à la cave avec son chien. Elle rejette l'inéluctable, combat l'évidence, engage une course contre le temps et dialogue avec la mort qui lui souhaite une bonne vie avant de s'en aller. C’est là que Wajdi flirte avec l'irréel, sans nous emmener, ni dans le terrier comme Lewis Carroll ni chez les fantômes comme Amos Tutuola. La mort fait peur à tout le monde, enfants et adultes, pourtant, c'est autour de ce sujet que Wajdi nous convie. Judicael Avaligbé, le Kromo est bien complice de cette audace et met en scène Pacamambo avec simplicité, finesse et talent.
Wajdi nous dit lui-même qu'il a tenté d'écrire à travers Pacamambo une tragédie pour enfants, c'est-à-dire une fête où les questions douloureuses sont abordées avec le plus de ludisme possible tout en faisant confiance à l'intelligence et à l'imagination.
Rolly Godjo, Ornela Fagnon, Jean-Louis Kédagni, Sidoine Agoua et Eminence Hongbété sous la direction du metteur en scène, électrisant l'espace, rivalisent de dextérité dans le jeu pourtant choral en grande partie, presque une chorégraphie. En tout cas Kromo, par ce travail sobre, sans prétention mais éminemment puissant nous prouve qu'on peut cartonner en stand up comme en mise en scène avec un égal bonheur surtout quand on est passé par une école. Je vous invite donc à voir Pacamambo de Wajdi Mouawad, mise en scène par Judicaël Avaligbé.
Dine Alougbine Metteur en scène