La Nation Bénin...
L’esthétique des pièces d’Ousmane Alédji révèle
les influences sous lesquelles il crée ses œuvres. A travers ‘’La tragédie du
roi Césaire et Négrititudes’’ il redonne la parole à Aimé Césaire.
Héritier du pionnier Sony Labou Tansi, Ousmane
Alédji fait partie de la génération de dramaturges francophones qui, depuis le
début des années 1990, ont inscrit leurs créations dans une logique de
provocation. L’esthétique de ses pièces révèle les influences sous lesquelles
il crée ses œuvres. Comme on le voit bien dans l’oeuvre qui fait l’objet de
notre présentation, ses choix esthétiques s’écartent quelque peu de la
conception traditionnelle du théâtre. Ce grand panafricaniste a, en effet,
choisi d’inscrire le discours de ses personnages dans le prolongement de l’œuvre d’Aimé
Césaire, grande figure de la pensée anticoloniale, comme on peut s’en
apercevoir dans les deux œuvres en présentation: La tragédie du roi Césaire et
Négrititudes. La première est inspirée de la célèbre pièce d’Aimé Césaire : La
tragédie du roi Christophe publiée en 1963 et créée le 4 août 1964 dans une
mise en scène de Jean-Marie Serreau au festival de Salzbourg. Il s’agit d’une
pièce qui donne à voir la reconstruction et la quête de reconnaissance d’un
pays stigmatisé par son passé colonial. La seconde nous rappelle le
célébrissime mouvement de revendication des Noirs après la 2nde Guerre
mondiale. La 1re pièce qui s’ouvre sur
l’avant-propos du dramaturge s’étend sur 48 pages réparties en six mouvements/parties/divisions. Elle nous plonge dans un contexte de guerre.
Césaire et Hounto Sônon dan manlia béssé sont les deux principaux personnages
convoqués pour dérouler la fable de ladite pièce. Le roi Césaire, malgré le
poids de l’âge, l’infirmité et la maladie (asthmatique) s’efforce de ramener à
l’ordre son peuple, représenté par son aide de camp Hounto. Refusant
d’admettre la férocité de ses
adversaires dont la puissance des moyens a visiblement décimé leur troupe, le
roi Césaire s’efforce à s’accrocher à la vie et se donne pour obligation morale
d’inculquer à son peuple le sens de l’engagement, le devoir de résistance…
Entre délire et rage, il réussit tout de même, à partager avec ce peuple vaincu, quelque peu
déçu, sa fougue, sa fierté d’être nègre.
Parlant de ce personnage, on retient
fondamentalement qu’il se veut un personnage débris, à la limite névrosé. Il
lui arrive en effet de confondre hounto avec son épouse…il entend des choses
p.28…Césaire ferme les yeux comme pour résister à une douleur mystérieuse. Sous
ses paupières closes, un spectacle…dans sa tête…
Mais sa folie ne l’empêche guère d’exécuter les
rituels dignes d’un roi, fier et heureux d’être africain de souche.
- « Rituel : p. 48 Il boit le sang et se met à
souffler dans une longue corne de taureau »
- Rage :p.46-47 Approchez. Donnez-moi la foi
sauvage du sorcier…peuple
Au-delà
du pastiche du titre, le dramaturge recourt au procédé de cut-up pour faire
voyager l’imaginaire de ses lecteurs. Le cut-up, signalons-le, relève de
l’intertextualité dont les formes sont variables. Qu’il s’agisse des allusions,
des références ou des collages, ce sont tous des caractéristiques de l’écriture
postcoloniale. Cette démarche commune aux écrivains postcoloniaux enrichit
l’espace littéraire qui ne cesse d’évoluer.
Toute la poétique de l’écriture d’Ousmane
Alédji s'élabore dans un rapport d'intertextualité avec le célèbre Cahier d’un
retour au pays natal. Dans un premier
temps, Il est aisé de découvrir qu’il se construit dans cette pièce, une série
de retours au Cahier d’un retour au pays natal de Césaire.
Les pages suivantes sont assez illustratives :
p. 40-41
: L’heure de ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole
p. 42-43 ; 44-45-46 -53Au bout du petit matin…
p :104
Les quintes de toux intermittentes n’émoussent
en rien la fougue du personnage de Césaire qui laisse transparaitre le langage
flamboyant et incandescent qui caractérise le style de Césaire.
-pp51-52 vous êtes courbés comme des chiendents
mous.
les termes mêmes ne laissent planer aucune
ambiguïté.Fasciné par l’écriture de Césaire, Ousmane Alédji se laisse
visiblement ensorceler par son hardiesse, l’exubérance et la magie de son
style. Alors presque à l’insu du lecteur, Ousmane Aledji va convoquer la foi
mystique de Césaire en recourant constamment à ses rituels de sang ou de corne
: il se lave les bras avec du sang de taureau p.41-42
il se verse le sang de taureau sur la tête, sur
les bras et sur les pieds p.41.
Loin de nous proposer un texte déréglé -
perturbé et incohérent, le dramaturge réussit à créer du sens dans le discours de ses personnages en
proposant des éléments-choc, minutieusement montés, collés et superposés. C’est
un tissage minutieux dont la beauté souligne la profonde unité de la pièce.
Cependant, il faut souligner que ce jeu
d’intersection amplifie les aléas de la réception de l’œuvre. En réalité, seul
un lecteur cultivé, avisé ayant les
mêmes présupposés que le pasticheur, pourra décrypter le message. Pour
comprendre Alédji, il faut connaitre Césaire. Pour comprendre Césaire, il faut
lire Aledji. Mais, il faut ajouter que le dramaturge a réussi son coup… s’il en
est un. RENDRE CESAIRE A LA JEUNESSE. Il
le soulignait déjà dans son avant-propos : LE RENDRE DISPONIBLE, FACILE A LIRE,
A JOUER ET A COMPRENDRE.
QUE RETENIR ?
A-t-on fini de parler de la Négritude? Visiblement non. Ce concept continue d’inspirer les créateurs. A la suite de La tragédie du roi Césaire, Négrititudes se veut un monologue. Le personnage de Césaire, invité à un congrès, livre à son public ses aspirations profondes pour l’épanouissement du continent africain. Tout le discours renvoie aux rêves de Césaire. Des rêves dont Alédji a le secret. Par le procédé de Prosopopée, Ousmane Alédji redonne la parole à Césaire.