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Déforestation et pillage de ruches au Bénin : l’étau se resserre autour des abeilles

Environnement
Par   Fulbert Adjimehossou, le 17 mai 2022 à 10h01
Les apiculteurs béninois commencent à donner de la voix, pour une meilleure protection des abeilles. Ils dénoncent la déforestation, les pillages de ruches, les mauvaises techniques de récolte de miel. En mars 2021, Chabi Yo Orou Gani, apiculteur à Kérou, à plus de 620 km de Cotonou, nous soufflait une menace qui prend de l’ampleur : le pillage des ruches. « Autrefois, les chasseurs de miel qui sont en grand nombre chez nous vont dans la brousse, coupent les bois, font le feu et récoltent le miel. Ils tuent les colonies et récupèrent le produit. A présent, ce sont les ruchers qui sont devenus les terrains de chasse », confiait ce comptable qui s’est converti en producteur de miel depuis 14 ans. Aujourd’hui, les plaintes ne sont plus seulement des incidents passagers. « Le phénomène se généralise, avec parfois les transhumants qui brûlent les ruchers. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de rejoindre la Lama », se désole Camille Tooubi, apiculteur. [caption id="attachment_81927" align="alignnone" width="325"] Daouda Adouba évoque des plaintes récurrentes liées aux pillages des ruches[/caption] La situation est telle que les faîtières en sont préoccupées. « Président de la Fédération nationale des apiculteurs du Bénin (FeNaBen), Daouda Adouba évoque des plaintes récurrentes. « Nous sommes surtout confrontés aux actes de vol, de vandalisme et à la destruction des essaims. Ce qui me fait plus mal est que si les pilleurs laissaient les abeilles pour n’emporter que le miel, ce serait bien. Ils brûlent tout », condamne le promoteur du village des abeilles situé à Koko, dans la commune de Bantè, à plus de 400 km de Cotonou. Une menace sérieuse Introduite dans sa forme moderne au Bénin vers les années 1950, l’Apiculture est aujourd’hui pratiquée par environ 5 565 personnes installées essentiellement dans les zones forestières et savanicoles, aussi bien dans la partie septentrionale que méridionale du pays. Elle s’est considérablement développée au cours des dernières années avec une production moyenne annuelle estimée à 420 tonnes. Néanmoins, de plus en plus, les apiculteurs assistent impuissants au vol et au vandalisme dans les exploitations apicoles. C’est un véritable fléau national qui détruit les exploitations et démotive les apiculteurs. Nombreux sont les producteurs de miel qui ont désormais recours à des mesures de sécurité sur les sites. Les uns positionnent des gardiens pendant la période de miellée, c’est-à-dire la période saisonnière de production du nectar butiné par les abeilles. D’autres n’hésitent pas à faire usage de pratiques mystiques pour attraper les présumés voleurs de miel. « Si le voleur y va et prend le miel, il ne va pas se retrouver et le propriétaire va l’attraper. Mais ces solutions sont insuffisantes », fait savoir Daouda Adouba qui partage son quotidien avec les abeilles depuis 37 ans. Les abeilles poussées à bout Dans les périphéries de Cotonou, les abeilles sont rares. Il faut remonter au Nord de la commune d’Abomey-Calavi, ou carrément à Zè, pour commencer par dénombrer des ruches. Les résultats du Recensement national de l’Agriculture dévoilés en janvier 2022 en disent long sur la concentration de l’activité d’apiculture dans la région septentrionale. L’Atacora se positionne en tête avec 11 707 ruches sur 25 536 sur le plan national. Suivent l’Alibori (3 791 ruches), la Donga (2 612 ruches), le Borgou (2 498 ruches), le Plateau (2 467 ruches) et les Collines (1 109 ruches). Des analyses effectuées par les spécialistes, la déforestation, les mauvaises pratiques de récolte du miel et les pillages emportent dans le silence les essaims d’abeilles, en plus de faire chuter la productivité dans les exploitations agricoles. « Ces pratiques menacent l’abeille elle-même qui est à la quête d’un habitat sûr. Face à la déforestation et aux actes de vandalisme de son habitat, l’insecte va disparaitre. Et si l’abeille disparait, l’humanité suivra », alerte Olivier Kpodékon, spécialiste en gestion des ressources naturelles. Il préconise alors la répression à travers une loi. « Il faut partir d’un cadre légal qui sécurise l’abeille et son habitat. Les troncs d’arbres constituent par exemple aussi des habitats pour les abeilles que les apiculteurs sécurisent », explique-t-il. Mais ces menaces ne sont pas connues qu’au Bénin. Profitant de la Journée mondiale des abeilles célébrée le 20 mai de chaque année, l’Onu ne cesse de tirer la sonnette d’alarme. « Le nombre d’abeilles et d’autres pollinisateurs est en forte baisse dans plusieurs régions du monde en grande partie à cause de pratiques agricoles intensives, de la monoculture, du recours excessif aux produits chimiques agricoles et des températures en hausse associées au changement climatique. Ce qui a pour effets de non seulement affecter les rendements agricoles mais aussi la nutrition », s’inquiète la Fao. « Pur miel du Nord » : Attention à la tromperie ! Avec ses près de 12 000 ruches dénombrées par le Rna, l’Atacora est très vite mis en avant dans le marketing du miel au Bénin, par les revendeurs. Mais attention, tout ce qui se vend dans les rues n’est pas si pur. Les actes de vandalisme sont à prendre au sérieux en raison des risques de problèmes de santé publique liés à l’utilisation des pesticides lors des récoltes frauduleuses de miel ou de l’utilisation des bidons vides de pesticides pour la conservation et le conditionnement du miel. « Les pilleurs ont parfois recours à des insecticides pour tuer les abeilles. Ils récupèrent à la main le miel dans des bouteilles d’insecticides pour le vendre aux consommateurs qui n’en savent rien. Ces derniers sont en train d’être intoxiqués comme cela sans s’en rendre compte », dévoile Adouba Daouda. Puis il ajoute : « Ces produits issus de vol sont exposés au bord de la voie. Les voleurs, pour tromper la vigilance des consommateurs, ajoutent un échantillon d’abeilles qu’ils mettent à la surface. Il y a de cela trois ans, j’ai envoyé des échantillons de ces miels vendus aux abords des voies en France pour des analyses. La trace d’herbicide a été retrouvée dans le miel. Les consommateurs doivent s’approvisionner chez les apiculteurs indiqués pour ne pas s’intoxiquer », fait-il remarquer avant d’inviter l’Etat à mettre en place un cadre légal qui protège l’apiculture, les apiculteurs et les consommateurs contre ces pratiques qui se généralisent. De son côté, l’Etat n’est pas resté les bras croisés. Des démarches sont en cours pour garantir la qualité du miel. Ce sont d’ailleurs ces efforts qui ont permis que le miel béninois soit accepté sur le marché européen depuis 2018. Mais pour les apiculteurs, il faudra sauver les abeilles des flammes du gain facile et protéger les consommateurs béninois. Le faire, c’est aussi protéger les autres filières agricoles, puisque comme l’avoue Albert Einstein, « Si l’abeille venait à disparaître, l’homme n’aurait plus que quelques années à vivre ».