La Nation Bénin...
L’avortement
sécurisé est une option salvatrice pour la gestante qui choisit de mettre un
terme à sa grossesse. Face aux conséquences qu’engendrent les avortements
clandestins, les spécialistes de la santé recommandent le choix éclairé de
l’avortement médicalisé afin de sauver la vie de la femme.
L’avortement
médicalisé ne se pratique jamais sur un coup de tête du spécialiste de la
santé. Il y a toujours une raison derrière l’acte. Si certains le condamnent,
les spécialistes de la santé le considèrent comme un recours salvateur. Celui
qui permet de sauver la vie de la gestante à défaut d’en sauver la sienne et
celle du bébé qu’elle porte. L’évidence avec ce type d’interruption de
grossesse, c’est qu’il comporte moins de risques que l’option de la
clandestinité.
« L’avortement
médicalisé sauve la vie de la femme. Il lui garantit de meilleures chances de
contracter une autre grossesse. Or certaines complications liées à l’avortement
clandestin nous ont amenés à enlever l’utérus de la femme », se désole
Thierry Lawalé, médecin de santé publique, spécialiste en santé sexuelle et
reproductive, directeur de la santé de la mère et de l’enfant, des soins infirmiers
et obstétricaux au ministère de la Santé.
Selon
la loi n°2021-12 modifiant et complétant la loi n°2003-04 du 03 mars 2003
relative à la santé sexuelle et à la reproduction en République du Bénin,
l’avortement est légal jusqu’à douze semaines d’aménorrhée. La légalisation de
l’avortement libère donc la femme béninoise, contrairement aux opinions qui
considèrent le choix du Bénin comme un « suivisme des pays
occidentaux ».
Autrefois,
le sujet était tabou. La loi de 1920 avait formellement interdit la « publicité
des moyens de contraception et de provocation à l’avortement ». Les femmes contournaient donc les voies
légales (puisque quasi inexistantes) pour se faire avorter clandestinement, aux
dépens de leur vie. En plus de la détresse que leur décès pouvait causer à
leurs proches, l’Etat aussi perdait des ressources humaines. Et les cas n’étaient pas rares. Entre deux
maux, il fallait alors choisir le moindre: perdre le couple mère-enfant ou
sauver au moins une vie. Cette prise de conscience a ouvert aujourd’hui la voie
à l’avortement, ce qui résout par la même occasion plusieurs autres
équations.
« La
jeune fille qui ne veut pas garder sa grossesse, du fait de ses études, est
autorisée à avorter. En cas de viol ou d’inceste, l’avortement est autorisé. Dans
tous les cas, les raisons fondant la décision de l’avortement reviennent
uniquement à la femme. Si un gynécologue lui refuse ce service, elle passera
par des méthodes clandestines avec leurs corollaires que sont les complications
et le décès », explique Séto Simon Bidossèssi, chirurgien des hôpitaux à la
retraite, directeur exécutif de l’Ong Bidossèssi, centre de référence en
matière de santé sexuelle et reproductive des adolescents et des jeunes.
En
plus des cas sus cités, Thierry Lawalé ajoute que lorsque la femme en état de
grossesse présente une affection particulièrement grave où la poursuite de la
grossesse peut mettre sa vie en jeu, elle peut recourir à l’avortement.
Lorsqu’on se rend compte que l’enfant à naître est aussi porteur d’une affection
particulièrement grave, au-delà de tout recours thérapeutique, la femme peut se
faire avorter. Idem lorsqu’il s’agit des raisons d’étude, d’exigences
professionnelles et de pauvreté.
« Certains
hommes pensent que la femme est une machine à fabriquer d'enfants alors qu’ils
n’ont aucune situation financière stable pour subvenir aux besoins de leurs
familles. En ce moment, il est difficile d’espérer une volonté d’eux pour
protéger la santé de leurs femmes », poursuit-il. Dans ces situations, les
spécialistes sont bien obligés d’écouter le cri de détresse des gestantes.
A
vrai dire, l’avortement et les questions de santé sexuelle et reproductive ne
sont pas nouveaux. Ils existaient depuis la nuit des temps, mais sous d’autres
formes. « Depuis que la femme existe, il y a l'avortement. Nos
grands-parents connaissaient très bien les plantes à utiliser dans ce cas, y
compris les recettes de la contraception », souligne Séto Simon
Bidossèssi.
La
loi 2003-04 du 03 mars 2003 relative à la santé sexuelle et reproductive
complétée par celle de 2021, n’a fait qu’encadrer l’avortement et l’élargir à
l’interruption volontaire de grossesse (Ivg). « L’avortement est autorisé
lorsque la grossesse est issue d’un viol. Ensuite, lorsqu’elle intervient dans
le cas d’un inceste ou lorsque l’état de santé de la maman ne lui permet pas de
garder une grossesse à terme. L’avortement est autorisé dans le cas d’une
cardiopathie chez la femme. Lorsque le fœtus porte une malformation
incompatible à la vie (crâne ouvert, ventre non fermé, pieds et bras
tordus) », développe-t-il.
Au lendemain du vote de la loi 2021 sur l’avortement, le 21 octobre 2021, plusieurs organisations s’étaient invitées au débat, les unes pour dénoncer, les autres pour exprimer leur satisfaction. On retrouve dans la deuxième catégorie, les acteurs de la société civile, défenseurs de la santé sexuelle et reproductive. Selon eux, la loi sur l’avortement est une avancée au Bénin et résulte d’une longue lutte des organisations de la société civile puis de la volonté politique. Elle permet de réduire les décès maternels. Les chiffres en la matière ne les contredisent pas : près de deux cents femmes meurent chaque année des suites des complications liées à des avortements non sécurisés.
Du
côté des religieux, difficile d’affirmer s’ils ont fini par avaler la pilule.
Pour eux, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une dérive. L’Eglise catholique
le caractérise « d’un acte immoral et inhumain qui détruit la vie du fœtus et
de la mère à plusieurs égards » ou encore d’une « banalisation de la
vie humaine ». Prise de position à laquelle répond le chirurgien des
hôpitaux Séto Simon Bidossèssi en ces termes : « La vie est sacrée et
une femme ne peut perdre la sienne en voulant en donner. S’il s’avérait qu’au
sein d’une église, des femmes commencent par mourir de façon répétée du fait
d’avortements clandestins, le prêtre ou le pasteur ne serait-il pas encore le
premier à s’interroger sur cette situation en cherchant à exorciser le mal ? »,
s’interroge-t-il.
Il
pense que les dénonciations contre l’avortement médicalisé sont hypocrites. Il
faut que les femmes s’adressent aux bonnes personnes pour avoir la bonne
information au bon moment. « Les gens se cachent hypocritement derrière
les religions pour aller contre l’avortement médicalisé. Les mêmes personnes
qui font des dénonciations dans ce sens, savent le chemin à emprunter lorsque
ça arrive à l’un de leurs proches. C’est une malhonnêteté intellectuelle qui
perd les gens qui croient bêtement en eux », rétorque-t-il.
Cela
n’arrive pas qu’aux autres. Que l’on soit religieux ou non, tout le monde a des
parents qui peuvent mourir d’un avortement clandestin. Il signe et persiste que
l’avortement et la planification familiale devraient être des décisions
individuelles et que la logique de l’avortement se trouve en chaque femme qui
en prend la décision.
L’encadrement de l’avortement tient des cas graves liés à l’avortement clandestin dans notre pays. « On ne peut pas continuer à rester sourd et muet aux drames que nous voyons dans les hôpitaux. Il nous faut regarder la réalité en face et accepter de sauver une vie entre celle de la femme enceinte et celle du bébé qu’elle porte. Lorsqu’une grossesse non désirée est conduite à terme et que le bébé naît, il n’est pas évident que cet enfant ait tout le temps de bonnes relations psychologiques et affectives avec ses géniteurs », prévient Thierry Lawalé■