Entretien avec Dr Gilles Bognon : « L’exposition aux hydrocarbures favorise le cancer chez l’enfant »
Santé
Par
Arnaud DOUMANHOUN, le 16 mars 2022
à
13h40
Le cancer de l’enfant est une pathologie très peu connue mais qui sévit. Dr Gilles Bognon, oncopediatre au Centre hospitalier universitaire départemental de l’Ouémé-Plateau, révèle les facteurs favorisants et insiste sur la prévention et le diagnostic précoce.
La Nation : Qu'est-ce que le cancer chez un enfant ?
Dr Gilles Bognon : Le cancer de l’enfant est une pathologie caractérisée par le fait que le plus petit constituant de l’organisme que nous appelons cellule se met, pour des raisons données, à se multiplier de manière anarchique. Cette multiplication anarchique lui fait acquérir des caractéristiques qui lui sont particulières dont une tendance à se détacher et à aller coloniser d’autres organes. Ce fait est déterminé par le terme de métastase. Tout ce phénomène décrit est ce que nous appelons le cancer. Et quand ce phénomène intervient chez un enfant de 0 à 18 ans, on parle de cancer de l’enfant.
Les cancers de l’enfant sont fréquents et le cancer existe bel et bien au Bénin chez les enfants. En 2018, le nombre de cas de cancer de l’enfant recensé était autour d’une trentaine, et en 2021, nous avons recensé 72 cas.
Cette augmentation ne veut pas forcément dire que les cas de cancer sont en augmentation chez les enfants mais ça veut simplement dire que le nombre de cas diagnostiqués est élevé. Il y a nuance parce que tous les cas de cancer ne sont pas diagnostiqués. C’est le fruit d’une sensibilisation faite auprès de la population, du personnel médical et paramédical, qui a fait que les cas sont de plus en plus diagnostiqués. Sinon, certains cas n’étaient pas diagnostiqués et sont pris en charge par les tradi-thérapeutes pour des raisons de sort jeté.
Quels sont les facteurs qui favorisent la survenue du cancer chez l’enfant ?
Parmi les facteurs favorisants, il y en a qui sont liés à l’enfant lui-même et d’autres à l’environnement. Les facteurs liés à l’environnement sont essentiellement dus à l’exposition aux hydrocarbures. On sait très bien chez nous que l’exposition aux hydrocarbures est très fréquente surtout dans le Sud du Bénin, où par exemple, une dame enceinte, qui est vendeuse de carburant, va rester auprès de son étalage pendant les neuf mois de grossesse et inhaler ce carburant. Deux semaines après l’accouchement, elle retourne devant son étalage, et l’enfant va inhaler ce carburant jusqu’à l’âge de 5 ans, avant de commencer l’école. Les hydrocarbures sont nocifs, et un enfant qui inhale du carburant durant près de six ans, imaginez les conséquences. Les expositions aux hydrocarbures sont des facteurs qui favorisent la survenue du cancer chez l’enfant. C’est la même chose que les expositions aux pesticides. Certains engrais qu’on utilise pour la culture dans certaines régions du pays ont un effet cancérigène. Il y a aussi l’exposition aux radiations ionisantes. Une radiographie qu’on demande à une maman sur le bassin, parce qu’elle a eu un traumatisme du bassin, alors qu’elle est enceinte, peut être nocive pour l’enfant qui, plus tard, peut faire un cancer.
Les autres facteurs liés à l’environnement sont essentiellement les virus. Le virus du Vih peut donner un type de cancer qu’on appelle lymphome, le virus de l’hépatite B qui peut donner un cancer du foie, un virus très fréquent qu’on appelle Ebv, (ebstein-barr virus). Ce virus est à l’origine des lymphomes dont le lymphome de burkitt, et le lymphome de hodgkin.
En dehors de cela, il y a un virus particulier chez la femme qu’on appelle papillome virus, qui donne le cancer du col de l’utérus à l’âge adulte. Ce n’est plus un cancer de l’enfant, mais la prévention contre ce cancer se fait à l’âge de l’enfant par des vaccinations entre 9 ans et 13 ans. Nous profitons des facteurs favorisants pour le citer parce que ce virus induira un cancer plus tard. Les autres facteurs qui sont liés à l’enfant sont essentiellement les facteurs génétiques comme certaines maladies qu’on appelle syndrome de down ou trisomie 21.
Quels sont les types de cancer qui existent ?
On peut classer les cancers en deux grandes classes. Une première classe qu’on va appeler hémopathies malignes, qui constituent un type de cancer qu’on appelle vulgairement cancer du sang. Parmi les hémopathies malignes, il y a beaucoup de cancers mais trois sont beaucoup plus fréquents chez l’enfant. Il s’agit de la leucémie aiguë, du lymphome de burkitt, du lymphome de hodgkin, ou maladie de hodgkin.
En ce qui concerne les autres types, nous avons les tumeurs solides, les cancers solides. Les deux plus fréquents chez l’enfant sont le cancer de la rétine qu’on appelle rétinoblastome et le cancer de rein qu’on appelle néphroblastome.
D’autres cancers sont relevés chez l’enfant mais moins fréquents. Il y a un cancer au niveau de l’os qu’on appelle ostéosarcome, un cancer au niveau du cerveau, un cancer au niveau du foie qu’on appelle hépatoblastome, etc.
Le cancer peut toucher n’importe quel organe du corps humain mais les cinq cancers les plus fréquents chez l’enfant sont représentés par trois hémopathies malignes à savoir la leucémie aiguë, le lymphome de burkitt, le lymphome de hodgkin et deux tumeurs solides, le néphroblastome et le rétinoblastome.
Quels sont les types de cancer les plus fréquents chez l’enfant?
Le plus fréquent, c’est la leucémie aiguë lymphoblastique qui est une tumeur maligne, une hémopathie maligne, un cancer du sang qui va se manifester essentiellement par un besoin transfusionnel important chez l’enfant. Un enfant qui est tout le temps anémié, qui a besoin d’être transfusé, un enfant qui fait de la fièvre à répétition donc des infections, et un enfant qui a des tendances hémorragiques, c’est-à-dire lorsqu’il se brosse les dents, il peut avoir des saignements ou il peut émettre du sang par les urines. A ces trois gros signes, peuvent s’associer également des douleurs osseuses, et les adénopathies, ce qu’on appelle vulgairement les ganglions. Voilà les signes classiques qui vont permettre d’orienter vers la leucémie aiguë lymphoblastique. Une fois que l’orientation est faite, il y a des analyses standards qu’on appelle Nfs (Numération formule sanguine) et myélogramme, qui vont permettre d’asseoir le diagnostic de leucémie aiguë.
D’autres analyses plus poussées vont permettre d’identifier le type de leucémie aiguë, et de déterminer s’il s’agit d’une leucémie aiguë lymphoblastique.
Que retenir sur le lymphome de burkitt et la maladie de hodgkin?
Le lymphome de burkitt a deux grandes manifestations. La manifestation la plus fréquente chez nous, c’est au niveau du visage, de la face où l’on observe une augmentation de volume d’un côté de la face vers la joue, qui augmente énormément de volume, et cela va s’étendre jusqu’au niveau de l’œil et descendre au niveau du menton. Cette augmentation de volume est un peu douloureuse au début mais la tumeur s’étendant va augmenter l’intensité de la douleur. La masse va s’étendre du haut vers le bas mais aussi à l’extérieur et à l’intérieur. Son extension à l’intérieur va donc embêter les gencives qui vont saigner, et les dents auront tendance à chuter facilement. D’où la chute facile des dents, l’hémorragie avec cette tuméfaction. Ce sont des éléments qui vont orienter vers un lymphome de burkitt.
La seconde forme qui est un peu plus grave chez nous est abdominale. La manifestation est essentiellement une douleur abdominale et une augmentation du volume de l’abdomen. Et c’est sur une pièce de biopsie à la chirurgie qu’on prélève de l’intestin parce que l’une des manifestations est l’invagination intestinale (un intestin rentre dans l’autre). Le chirurgien est obligé d’opérer l’enfant pour qu’il soit soulagé, et en l’opérant, la partie enlevée est envoyée au laboratoire, pour confirmer le lymphome de burkitt abdominal. La maladie de hodgkin est également une néopathie qui va se manifester essentiellement par un ganglion ou des ganglions sur le corps de l’enfant, c’est-à-dire de petites boules qui apparaissent à des endroits spécifiques à savoir sous le cou, au niveau du menton, de l’aine, dans les aisselles. Ces ganglions vont apparaître et peuvent être associés à un grattage du corps, ou à une fièvre, à une transpiration abondante, et à une perte de poids. Pour confirmer le lymphome de hodgkin, on a besoin aussi d’un petit prélèvement qui, au laboratoire, pourrait confirmer sa présence.
Quelles sont les manifestations des tumeurs solides ?
Les tumeurs solides, le rétinoblastome est un cancer qui attaque la rétine de l’enfant. C’est souvent chez l’enfant de 0 à 5 ans. Et cela va se manifester par une petite tache blanchâtre dans l’œil ou carrément un scintillement sur une photo qui a été prise avec un flash. Ça peut se manifester également par un œil qui louche (qui dévie de son axe de vision). Cela ne veut pas dire que tous les yeux qui louchent sont un signe de rétinoblastome. Ça peut se manifester également par un œil qui a augmenté de volume et qui sort de son orbite. Là, ce sont des formes un peu tardives. Devant ces signes, il faudrait obligatoirement que l’ophtalmologue puisse voir l’enfant, faire les examens qu’il faut dont l’échographie et le fond d’œil pour confirmer le rétinoblastome ou non. A ce niveau, il faut faire très attention parce que certains cas de taches blanches dans l’œil sont diagnostiqués comme cataracte chez l’enfant, et certains soignants demandent aux parents de revenir six mois après. C’est dangereux, car si c’est un rétinoblastome, et qu’on demande aux parents de revenir six mois après, l’image qu’on aura ne sera pas très gaie, et il n’y aura plus rien à faire pour cet enfant.
Quels sont les éléments qui permettent de confirmer la tumeur de rein chez l’enfant ?
Le néphroblastome ou tumeur de rein chez l'enfant se manifeste par une douleur dans le ventre si la tumeur est très volumineuse, sinon carrément par une augmentation du volume du ventre. Et là, on découvre qu’il y a une masse qui se trouve dans le ventre, qui au début, n’est pas douloureuse, mais très fragile, avec laquelle il faut faire attention. Les examens de radiographie, l’échographie ou le scanner vont orienter vers la localisation rénale de cette masse, et cela amène à faire le diagnostic qui, plus tard, sera confirmé par le laboratoire.
Comment se traite le cancer chez l’enfant ?
Le traitement de ces différents types de cancer se fait au Bénin dans le service d’Oncologie pédiatrique, au Centre hospitalier universitaire départemental du Plateau, à Porto-Novo. Le traitement des cancers a souvent recours à la chimiothérapie. Ce sont des molécules de médicaments qu’on donne par voie orale ou injectable à l’enfant. On peut recourir à la chirurgie lorsqu’on a besoin d’enlever l’organe atteint pour les tumeurs localisées. Cela peut être également de la radiothérapie. Ce qui ne se fait pas pour le moment au Bénin. Mais en collaboration avec les autres pays, nous arrivons à traiter certains cas. D’autres traitements plus approfondis peuvent être appliqués mais ne sont pas encore vraiment disponibles au Bénin. Ces différents types de traitement ont une particularité.
Les molécules de chimiothérapie coûtent très cher ainsi que les médicaments pour la pratiquer. Ce qui fait que les parents n’ont pas toujours les moyens de faire face seuls, à la prise en charge de leurs enfants. D’où l’appel à des mécènes pour les assister. Nous avons certains organismes qui nous aident en approvisionnement de médicaments. Mais ces médicaments couvrent moins de 30 % de nos besoins actuels, et toutes les molécules ne sont pas non plus disponibles. Et les parents sont obligés de débourser un peu de sous pour acheter des médicaments à la pharmacie du Cnhu et au Camp Guézo. La prise en charge des cancers de l’enfant est onéreuse.
Le plus cher est la leucémie aiguë lymphoblastique, qui se fait sur deux ans. Cela peut tourner autour de 17 millions F Cfa sur la période. Et cela n’est pas accessible au Béninois moyen. Il y a des traitements de chimiothérapie pour certaines pathologies qui seront à moins du million. Néanmoins, le coût des molécules est élevé. Mais nous avons des chirurgiens oncologues et des chirurgiens d’autres spécialités qui nous aident pour la prise en charge de ces enfants.
Peut-on prévenir le cancer chez l’enfant ?
La prévention va se baser essentiellement sur l’identification des facteurs favorisants et leur éviction. Eviter les facteurs favorisants permettra d’éviter en partie la survenue de ces cancers. Mais l’on ne peut rien contre les facteurs génétiques. Donc, la gestion des facteurs environnementaux aura forcément une influence sur la prévention. Mais il faut de la sensibilisation pour le diagnostic précoce. Parce que lorsqu’il est découvert précocement, le cancer peut guérir facilement. Mais lorsqu’il est découvert à un stade de complications, la guérison devient difficile. Et le cancer de l’enfant est différent de celui de l’adulte parce que les taux de guérison peuvent aller de 70 à
100 % pour le rétinoblastome. Pour un rétinoblastome découvert tôt, on peut avoir 100 % de guérison. Pour d’autres comme le néphroblastome, 80 %, et le burkitt aussi, 80, voire 90 %.