La Nation Bénin...
Tychique
Nougbodé, expert en santé publique, en service au Centre National Hospitalier
Universitaire (CNHU-HKM) de Cotonou, lève le voile sur les enjeux sensibles du
lien entre pauvreté et santé au Bénin. Dans cet entretien, il plaide pour une
couverture sanitaire universelle, une structuration de l’économie informelle
sans laquelle le développement du pays resterait un vœu pieux.
Quel lien fondamental établissez-vous entre la pauvreté et l’état de santé des populations au Bénin ?
Plusieurs
arguments vont en faveur de la thèse selon laquelle l’état de santé de la
population conditionne le niveau de développement de la nation. De façon très
simple, on parle de pauvreté lorsqu’une personne ou une population n’arrive pas
à satisfaire ses besoins élémentaires avec ses revenus. Or, la santé en
elle-même n’est pas que clinique ou physique. Elle est aussi psychologique et
sociale.
Elle
repose sur un trépied bio-psycho-social. C’est dire que celui ou le peuple qui,
au regard de ses ressources, n’arrive pas à assurer l’équilibre entre le
bien-être individuel et social n’est pas en bonne santé.
Aussi,
l’état de santé détermine-t-il le capital humain mobilisable et la production
de richesse, que ce soit au plan individuel ou national. Il n’y a de richesse
que d’hommes. Pour être plus concret, un état de santé défaillant représente
des pertes énormes pour la nation : perte du capital humain, perte de
ressources et dommages sur l’économie, car maladie égale à moyens (financiers
surtout). La santé n’a pas de prix mais a un coût.
Quels sont, selon vous, les principaux obstacles structurels qui empêchent une couverture sanitaire équitable pour les populations pauvres au Bénin ?
Fondamentalement,
c’est la non-formalisation des activités et le niveau de compréhension bas des
individus qui posent problème. Nous avons pris l’habitude de nous développer
dans l’informel et aujourd’hui ça nous rattrape. C’est pour cela que nous
devons soutenir les efforts et réformes en cours pour formaliser les grands
secteurs du pays. La couverture sanitaire s’impose aujourd’hui aux populations.
Elle est obligatoire, les fardeaux (financiers, coûts directs et indirects) des
maladies ne feront qu’augmenter leur précarité et leur vulnérabilité sociale.
Comment évaluez-vous l’impact du système d’assurance pour le renforcement de l’accès aux soins de santé pour les ménages vulnérables (Ramu, Am-Arch, etc.) ?
L’impact est très positif, mais à condition que nous y adhérons massivement dans le pays. Les dépenses liées à une maladie sont colossales. Et tant que nous continuerons avec le système de payement direct des frais de santé, nous ne pouvons pas nous développer comme on l’espère.
Quelle stratégie sanitaire mise en œuvre au Bénin vous semble plus efficace pour réduire les inégalités de santé liées à la pauvreté ?
L’approche par la base qui prend en compte les besoins fondamentaux des couches les plus défavorisées. Cette approche qu’a adoptée le Bénin dans ses politiques de santé permet de se rapprocher plus de la population et donne la voix aux sans voix pour s’exprimer sur leurs problèmes et leurs besoins les plus urgents et importants.
Comment les déterminants sociaux de la santé (logement, éducation, nutrition, accès à l’eau potable) sont-ils pris en compte dans les politiques de santé publique ?
La
politique nationale de santé est constituée d’un ensemble de visions et d’orientations
fondées sur des valeurs et principes orientées vers l’amélioration de la santé
des populations du Bénin. Elle est basée sur des leçons apprises de la mise en
œuvre de la précédente Politique Nationale de Santé, des nouveaux défis
nationaux, des conventions et déclarations internationales auxquelles notre
pays a souscrit en vue de l’atteinte des objectifs de Développement Durable
(Odd).
Le volet Odd comprend tous les déterminants sociaux de la santé, et il n’y a pas santé si le minimum de besoins n’est pas satisfait.
En quoi les approches communautaires (relais communautaires, agents de santé à base communautaire) contribuent-elles à améliorer l’accès aux soins dans les zones défavorisées ?
Les relais communautaires sont les bras opérationnels de base du système. Ils constituent le maillon le plus proche de la base, ils constatent les problèmes de santé, ils communiquent, sensibilisent et orientent. L’approche communautaire rapproche les soins et services de santé des populations surtout les plus défavorisées.
Pensez-vous que le financement de la santé publique au Bénin est à la hauteur des enjeux liés à la pauvreté ?
Il faut d’abord reconnaitre les efforts faits par le gouvernement actuel et saluer l’ambition juste et logique de développer le pays. Le pays investit énormément dans la santé et nous disons merci aux décideurs pour les efforts. Mais en tant qu’expert de Santé publique, nous ne cesserons jamais de demander plus, car la santé est primordiale.
Quel rôle les Ong ou partenaires techniques et financiers jouent dans la lutte contre la pauvreté à travers la santé au Bénin ?
C’est
l’appui technique et matériel, l’appui-conseil, le financement selon les
priorités du pays, le suivi des projets et programmes de développement de la
santé.
Quelles recommandations feriez-vous pour renforcer l’intégration de la lutte contre la pauvreté dans les futures politiques de santé publique ?
Quelle
que soit la couleur politique des décideurs, il faut s’assurer de la continuité
des actions menées et de l’atteinte de la couverture sanitaire universelle pour
la population du Bénin dans un futur très proche. Le Bénin d’aujourd’hui a plus
que jamais besoin de cette couverture sanitaire pour son plein envol. C’est
capital, et c’est une question de sursaut patriotique.
Autre chose, il ne s’agit pas seulement des décideurs, mais de la population en général. Il faut que nous adhérions massivement aux programmes édictés par les décideurs pour l’atteinte des objectifs de développement.
Selon vous, quels sont les indicateurs clés à surveiller pour évaluer l’efficacité d’une politique sanitaire axée sur la réduction des inégalités sociales au Bénin ?
Les indicateurs sont définis sur la base de la vision et de l’orientation du programme cible. Cependant, en termes d’efficacité de politiques sanitaires, il faut obligatoirement prendre en compte les indicateurs de processus et de résultats. Les indicateurs d’extrants, d’effets et d’impacts à long terme doivent être édités à l’entame du programme et suivis tout au long de la mise en œuvre. Un point sera mis sur le taux de personnes impactées par la stratégie, le taux de variation de l’accès aux soins et/ou services de santé, le taux de pénétration de la stratégie, le taux d’efficacité de la stratégie..